Le train Kenya-Ouganda verra-t-il le jour ?

Une jonction difficile

Nous restons sur le continent africain pour vous parler d’un train qui, contrairement au Lézard rouge et ses vies successives, peine à naître. Ce train, c’est celui qui doit aller du port de Mombasa, sur la côte du Kenya, jusque dans le cœur de l’Ouganda. Complètement enclavé, ce dernier cherche bien logiquement à se créer des débouchés commerciaux en accédant à la surface maritime de son voisin. De son côté, le Kenya lorgne sur les importants revenus que pourrait générer le transport de marchandises entre Malaba, cette étonnante ville dont les parties ougandaise et kényane sont séparées par la rivière du même nom, et Mombasa. Les deux pays se sont donc mis d’accord en 2015 pour que chacun d’entre eux construise sa partie du chemin de fer. Sauf que les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.

Du côté kényan, le projet a pourtant bien commencé puisqu’en 2017, le lancement de la ligne de chemin de fer a été inauguré avec panache par le président de la République de l’époque, Uhuru Kenyatta. Seul problème, ce que l’ancien président de la République du Kenya a qualifié de “moment historique” n’a pas tenu toutes ses promesses. Tout d’abord, comme le rapporte le journal français Le Figaro, il fait l'objet de procédures judiciaires liées à des affaires de corruption. Ensuite, il est tout simplement inachevé puisqu’il manque le dernier tronçon : les 300 kilomètres qui devaient lui permettre d’arriver jusqu’en Ouganda. En effet, bien que financée par la Chine via un prêt de 4 milliards de dollars, la construction de la ligne est désormais paradoxalement bloquée par la même Chine. Cette dernière, qui est le second créancier du Kenya après la Banque Mondiale avec 6,6 milliards de dollars de prêt, semble ne plus croire à ce projet. Une perte de foi qui peut s’expliquer par le fait qu’un rapport parlementaire a démontré que le transport de marchandises sur cette ligne coûtait deux fois plus cher que par la route.

Du côté de l’Ouganda, les nouvelles ne sont pas excellentes non plus. Ce pays de près de 46 millions d’habitants a en effet annoncé en janvier 2023 qu’il avait rompu son contrat avec la compagnie chinoise China Harbour Engineering Company (CHEC). Cet accord prévoyait la construction de la partie ougandaise du train, soit 273 kilomètres de rails entre Kampala, la capitale du pays, et la ville-frontière de Malaba. Huit ans après le lancement du projet, le gouvernement a fini par s’impatienter des hésitations chinoises à le soutenir financièrement. Il s’est donc tourné vers la société turque Yapi Merkezi, qui construit déjà des chemins de fer sur le territoire de la Tanzanie voisine. Celle-ci doit encore lui répondre suite à la signature d’un accord préalable. En plus de son expérience de la région, celle-ci devrait pouvoir aider Kampala à trouver des financements pour l’aider à finaliser la construction de cette ligne de chemin de fer. A l'époque où l’Exim Bank of China, la Banque d’Importation et d’Exportation chinoise, devait le financer, le budget s’élevait à 2,3 milliards dollars.

Si l’Ouganda a pris une décision aussi brutale malgré la puissance de la Chine dans la région et dans le monde, c’est parce que celle-ci s’est montrée extrêmement silencieuse vis-à-vis des autorités ougandaises. Même lorsque le président Yoweri Museveni s’est rendu dans l’Empire du Milieu en 2018, cela n’a pas suffi à débloquer la situation. Pire encore, les délais de réponses de l’Exim Bank of China n’ont cessé de se rallonger, passant de quelques semaines à plusieurs mois. “Depuis notre dernière demande de financement en février 2021, nous n'avons entendu que le silence. Après la soumission, nous avons attendu quelques mois, c'était le silence, et jusqu'à présent, c'est toujours le silence de la part d'Exim Bank”, a détaillé Perez Wamburu, coordinateur du projet en Ouganda, dans les colonnes du magazine en ligne Quartz. Plus étonnant encore, certains observateurs de la région estiment que la Chine attendait de voir si le Kenya finissait de construire sa partie de la ligne, qu’elle refuse de financer, pour s’engager sur le financement de celle de l’Ouganda. Face à cet indémêlable imbroglio, Kampala a donc tranché dans le vif et s’est ouverte à d’autres financements internationaux, dont certains européens.  

Si elle témoigne de la complexité que représente la construction d’une ligne internationale, l’histoire du Mombasa-Kampala révèle surtout l’emprise de la Chine sur une partie du rail africain. Elle démontre aussi que la politique de Pékin évolue quant au financement des infrastructures à l’étranger. Ce qui laisse certains pays dans des situations parfois franchement instables, en Afrique et ailleurs.

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