À bord de la "Bestia", le train de la mort mexicain

2300 kilomètres de danger mortel

Qu’elles soient symboliques ou physiques, nombreuses sont les frontières que les êtres humains ont pu franchir en grimpant à bord d’un train. Mais s’il s’agit généralement de lignes construites à cet effet comme l’Ofotbanen, il arrive aussi que certaines liaisons soient détournées de leur usage premier par des hommes et des femmes n’ayant pas d’autre choix. Parfois au risque d’y perdre la vie. 

C’est ce que font chaque année des centaines de milliers d’immigrants sud-américains en s’accrochant à la “Bestia”. Depuis la fin des années 1990 et la fermeture de nombreuses lignes mexicaines destinées aux passagers, des générations de Honduriens, de Guatémaltèques, de Salvadoriens et de Nicaraguayens escaladent ce train de fret qui traverse le Mexique du Sud au Nord, près de la frontière étasunienne. 

Imaginez la scène. Le jour n’est pas encore levé sur la petite ville d’Arriaga, dans l’Etat du Chiapas. Soudain, le train démarre. En un instant, des hommes, des femmes et des enfants sortent de l’ombre et se lancent sur les flancs du train pour s’y accrocher. Certains tombent mais la plupart y parviennent, ils grimpent sur les petites échelles d’accès pour se réfugier sur le toît d’où ils pourront voir arriver d’éventuels contrôles policiers. D’autres ouvrent les wagons de marchandises espérant trouver une place entre les poutrelles métalliques et les rouleaux de grillage. Enfin, les derniers se réfugient sur les petites plateformes entre les rames. Commence alors un voyage de plus de 2300 kilomètres, dans des conditions catastrophiques. 

Pendant au moins 20 heures, tous vont être bringuebalés dans un état d’équilibre précaire, toujours à deux doigts de tomber sur les voies, sans savoir quand le train s’arrêtera. Quand c’est le cas, nombre d’entre eux en descendent alors à toute vitesse en espérant trouver quelques fruits ou un peu d’eau. Les maigres rations qu’ils peuvent emmener disparaissent, très vite consommées et consummées par la faim, l’ennui, la peur et l’écrasante chaleur mexicaine. 

Car si la “Bestia” s’appelle ainsi, ce n’est pas à cause d’une vieille légende locale ou d’un fantôme hantant le train comme à Madrid. C’est parce que chaque année, celui qu’on appelle aussi le “tren de la muerte” voit des dizaines de personnes se faire arracher des membres, se rompre les os ou faire des chutes mortelles durant leur trajet vers l’El Dorado supposé qu’est l’Amérique du Nord. Comme si le train dévorait ces gens fuyant la pauvreté et la violence de leurs pays d’origine.  

Ce n’est d’ailleurs pas le seul danger pour celles et ceux qui grimpent à bord de la “Bestia”. Au fil des années, des groupes de preneurs d’otages ont en effet développé un sinistre commerce consistant à capturer ces passagers clandestins sans le sous. Puis à les rendre à leurs familles restées au pays contre une somme d’argent avoisinant souvent les 2500 dollars. S’ils survivent à tout ça, il leur faudra encore franchir la frontière américaine, partiellement affublée du mur voulu par Donald Trump et parcouru par des milices anti-immigration à la gâchette facile. A cela s’ajoutent les violences, les vols et les viols ayant lieu durant le trajet, perpétrés par des passagers sur d’autres passagers. Autant le dire clairement : monter à bord de la “Bestia” est un acte de désespoir. 

Cela n’empêche toutefois pas que 400 000 à 500 000 personnes tentent leur chance chaque année, sur l’un des quinze trains quotidiens qui font le trajet. Car, comme l’hydre de Lerne, la “Bestia” a plusieurs têtes. Soit autant de chances d’être dévoré par le monstre. D’ailleurs, conscientes des horreurs qui se déroulent autour de ce train, de nombreuses associations humanitaires tentent d’aider les passagers en leur distribuant de l’eau et de la nourriture à certains arrêts récurrents de la liaison. Les volontaires passent aussi du temps à tenter de retrouver celles et ceux qui sont tombés pour les soigner ou, dans le pire des cas, leur offrir une sépulture décente. 

Quant au gouvernement mexicain, il hésite. Si on peut lui imputer partiellement le phénomène, directement lié à la fermeture de nombreuses lignes de passagers, il n’est pas responsable de l’extrême pauvreté de ses voisins plus ou moins proches. Selon les époques, il a donc parfois essayé d’empêcher les immigrants de grimper sur ce train de la mort. Depuis quelques années, il semble toutefois que la pratique soit tolérée de manière assez claire et que les humanitaires soient laissés libres de travailler le long de ce chemin de fer. Un minimum face à un pareil drame humain. 

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