À la recherche du TGV perdu des USA

L’introuvable Grande Vitesse

Les trains ont beau mesurer des dizaines de mètres de long et peser des centaines de tonnes, il leur arrive parfois d’être introuvables, comme le train nazi rempli d’or qui fascine les chercheurs de trésors. C’est aussi le cas des trains à Grande Vitesse américains qui, même si vous les cherchez d’un bout à l’autre du territoire, des forêts du Montana aux déserts du Texas, ne se laisseront jamais découvrir. Et pour cause, ils n’existent pas. Oui, vous avez bien lu : la plus grande puissance du monde n’a pas de lignes à Grande Vitesse (LGV). Seuls quelques trains de la côte Est s’en rapprochent vaguement sur de très courts trajets et sans en atteindre la vélocité. Une particularité étonnante qui s’explique, notamment, par un certain nombre de facteurs historiques, démographiques, géographiques et culturels.

La première de ces explications est la densité de population des Etats-Unis. Avec environ 35 habitants au kilomètre carré, le large territoire de nos voisins d’outre-Atlantique est en bonne partie vide et les grandes villes du pays sont souvent très éloignées les unes des autres. Il suffit de regarder une carte intégrant cette donnée pour s’en apercevoir. Or, les TGV sont particulièrement efficaces et rentables dans les zones où de grandes villes très peuplées se concentrent sur un espace relativement restreint, comme c’est le cas dans de nombreux pays d’Europe et d’Asie. Au-delà de la concentration des villes, leur organisation joue également sur la pertinence de la Grande Vitesse. Tandis que les villes européennes et asiatiques se sont développées autour de centres historiques regroupant une importante partie de la population, une grande partie des Américains vivent dans des banlieues périurbaines majoritairement constituées d’unités de logement personnelles, avec des terrains. Ce qui implique que tous les passagers ont besoin d’une voiture au départ et à l’arrivée de leur voyage en train.

A cela s’ajoute la toute puissante culture américaine de la voiture, notamment encouragée par le National Interstate and Defense Highways Act qui énerve tant les Numtots. Profondément ancrée dans les habitudes des Américains, elle les pousse à prendre le volant pour tout et pour rien, pour aller faire les courses depuis leurs banlieues résidentielles et pour aller rendre visite à leur famille à l’autre bout du pays. Au point que le road trip est même devenu une expérience à part entière, encouragée par des dizaines de livres, de films et de séries dont les personnages sillonnent le grand ruban. Autre élément, culturalo-juridique celui-là, pouvant expliquer l’absence de lignes à Grande Vitesse aux Etats-Unis : la rigueur du droit de propriété. Celui-ci rend l’achat et la sécurisation des parcours extrêmement complexes et onéreux, contrairement à ce qui avait cours à l’époque de l’établissement de la plupart des grandes lignes historiques.

Malgré ces différents obstacles, un TGV a bien failli faire son apparition entre les deux villes californiennes de Los Angeles et San Francisco, qu’il devait relier en deux heures et quarante minutes. Voté par les électeurs du Golden State en 2008, le projet devait initialement coûter 33 milliards de dollars et être opérationnel à horizon 2020. Quatorze ans plus tard, seule une ligne dite “de départ” de 171 miles, soit environ 275 kilomètres, est en construction pour relier quelques villes du centre de la Californie. Mais surtout, le budget global de ce qui pourrait être la première ligne à Grande Vitesse du pays a littéralement explosé. Publié en février 2022 par la California High-Speed Rail Authority, le nouveau projet se montait alors à 105 milliards de dollars. Trois mois plus tard, il avait d’ores et déjà grimpé à 113 milliards de dollars.

Quant à la date de mise en service, l’autorité ferroviaire de Californie table désormais sur 2030, grâce à l’accélération des travaux qu’elle a récemment annoncée. Seul problème, selon The New York Times, les projections utilisées par les responsables du projet montrent que le chantier avance au rythme de 1,8 million de dollars par jour en moyenne, ce qui semble encore largement insuffisant pour tenir les délais. Toujours selon le journal de la grosse pomme, de nombreux anciens de la California High-Speed Rail Authority estiment même qu’il pourrait ne jamais voir le jour dans sa version finale. Les 100 milliards de dollars nécessaires à l'extension de la ligne de départ vers Los Angeles et San Francisco ne sont pour l’instant pas financés.

Ces augmentations de budget et ces délais ne sont toutefois pas apparus par hasard. Ils s’expliquent principalement par les compromis politiques qui ont été passés entre les différents acteurs de la zone. Ainsi, au lieu de se focaliser sur le transport de passagers entre les deux mégalopoles que sont SF et LA comme le recommandait la SNCF, le parcours a été affreusement compliqué pour satisfaire le plus grand nombre. Tant et si bien que l’opérateur historique français, qui venait donner des conseils dans l’idée de décrocher un gros contrat, aurait quitté le projet très en colère. Ses huiles auraient même dit qu’elles préféraient se focaliser sur le projet de TGV au Maroc qu’elles jugeaient politiquement moins dysfonctionnel. Ce n’est donc pas encore demain que vous apercevrez un train à Grande Vitesse foncer à travers la Californie, le Wyoming ou l’Idaho.

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