Le train, théâtre du plus grand casse mondial

26 juillet 1944 : la Résistance dérobe les milliards de la Banque de France

Avant que les chemins de fer n’émaillent notre planète, c’est la diligence qui officiait à l’heure de se déplacer d’une contrée à une autre. Le voyage avait alors tout de l’aventure, tant les attaques de l’auguste véhicule par les forbans de l’époque étaient monnaie courante. Si l’arraisonnement d’une diligence était une entreprise osée, la création du train va rendre les opérations des contrebandiers autrement plus complexes à l’heure de se lancer à l’abordage d’une locomotive fumante de sa vitesse. Au point de les proscrire ? Certainement pas, puisque jusqu’à présent, le plus grand casse mondial jamais réalisé a été celui de l’Attaque du Train de la Banque de France.

De brigands façon Ocean’s Eleven, il n’est ici pas question, loin s’en faut. Ce sont des résistants qui, alors que la Seconde Guerre mondiale approche de son épilogue, vont mener l’assaut de cette banque sur rails avec la maestría de nobles guérilleros, dans un scénario aux accents de western.

Nous sommes en juillet 1944 et dans un peu moins d’un an, la réécriture de l’histoire sera en marche pour raconter que toute la France, ou presque, a résisté à l’envahisseur. En réalité à ce moment-là, même si les rangs de la Résistance grandissent de jour en jour, plus encore après le débarquement des Alliés en Normandie, la situation est difficile dans le maquis. S’il est riche du courage des hommes qui l’ont pris, les armes et les vivres y font trop lourdement défaut pour mener le combat durablement. Pour y remédier, il y a bien les réquisitions des maquisards auprès des commerçants et paysans, mais elles ont pour conséquence éthique, des bons de réquisition : faute de pouvoir les payer, le risque existe que des troubles civils se retournent contre l’Armée des ombres.

En la matière, le maquis de Dordogne ne fait pas exception. C’est au sein de celui-ci que va se fomenter le casse du Train de la Banque de France, qui sera bientôt une bénédiction pour revigorer les troupes et honorer les dettes de la Résistance. Et c’est un des sbires de Vichy, le Préfet de Dordogne, Jean Callard, qui va le rendre possible : sentant le vent tourner et bien conscient qu’il en serait pour ses frais en cas de victoire des Alliés, le haut fonctionnaire est prêt à tout pour se racheter une virginité. C’est dans une ferme isolée qu’il rencontre secrètement le lieutenant-colonel Martial, l’un des chefs de la Résistance locale, où il lui confesse que la Banque de France de Périgueux, redoutant une attaque des maquisards, réfléchit à transférer tous ses fonds à Bordeaux. Il n’en fallait pas tant.

Tout s’accélère quand le 25 juillet, Jean Callard confirme à la Résistance que la Banque de France va mettre à exécution la fuite de son magot vers les terres girondines, au moyen d’une voiture dédiée qui sera, l’air de rien, attelée au train habituel que les voyageurs prennent pour s’y rendre depuis Périgueux. Et il n’y a pas un instant à perdre, puisque le florissant convoi prendra son élan, le lendemain : les maquisards s’organisent immédiatement pour convenir du meilleur plan possible. En y regardant de plus près, ils établissent rapidement que la gare isolée de Neuvic est l’endroit idéal pour leur forfait.

Le 26 juillet est un de ces jours d’été où le jour prend plaisir à s’étirer de son long. Si le train aux œufs d’or doit quitter Périgueux à 18h25, les résistants ont commencé dès l’après-midi à sécuriser les environs de la gare de Neuvic. Sur place, ils s’assurent d’abord de la complicité du chef de gare, afin que tout continue à se passer comme si de rien n’était, jusqu’à l’entrée en gare du Périgueux-Bordeaux, prévue à 19h11. Ce sont 150 hommes, postés de part et d’autre de la voie ferrée, qui devront ensuite se lancer à l’abordage pour le délester de ses billets.

Tout aurait pu se passer comme espéré, si ce n’est que le train prend son temps. Il est en retard et à mesure que les minutes passent, l’opération devient de plus en plus dangereuse tant la sécurisation des abords de la gare par la Résistance risque de ne plus passer inaperçue. C’est à 19h38 que la silhouette fumante de la locomotive se dessine enfin au loin. A peine arrivé à quai, les maquisards montent à bord du train et débusquent sans tarder le butin confortablement calé en tête du convoi, vaguement protégé par quatre policiers et un contrôleur de la Banque de France, qui se rendent sans faire la moindre histoire. Pas le temps de traîner dès lors : les sacs de toile vont, de bras en bras, quitter le train pour être entreposés dans deux camions. A 20h15, c’est plié et les véhicules mettent le cap vers leur planque maquisarde, sans que le moindre coup de feu n’ait été tiré.

La panne d’un des deux camions ne suffira pas à empêcher le casse d’être un succès : la Résistance vient de braquer 2.280.000.000 francs (soit un peu plus de 430 millions d’euros actuels). Sa dispersion est coordonnée pour éviter que l’occupant allemand ne puisse le saisir, et l'argent va permettre de rembourser les créances de la Résistance comme de financer ses actions en Dordogne, dans le Limousin, dans les régions de Bordeaux et de Lyon. De quoi justifier amplement le retard d’une heure du Périgueux-Bordeaux du 26 juillet 1944 !

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