A la source de l’inspiration d’Agatha Christie

L’Orient-Express bloqué pendant cinq jours à cause de la neige

Nous avions envie de vous emmener sur les traces du livre Le Crime de l’Orient-Express. Le 1er janvier 1934, quand elle publie ce polar central dans la mythologie des trains de nuit, Agatha Christie est loin d’imaginer combien cette nouvelle enquête de Hercule Poirot va marquer des générations entières. Ce n’est pas la première fois que les trains de nuit lui inspirent un décor propice à ses intrigues : six ans plus tôt, elle a déjà publié Le Train Bleu, autre affaire rondement menée sur les chemins de fer par son détective de héros. Cette fois-ci, c’est un événement ferroviaire qui va donner matière à l’emballement de son imagination déroutante.

31 janvier 1929. Cela fait bientôt un demi-siècle que l’Orient-Express a été lancé et le succès est au rendez-vous pour le train légendaire, tant on ne compte plus ses voyageurs prestigieux. Ce jour-là pourtant, rien, mais alors rien du tout, ne va se passer comme prévu. Quand ils quittent Paris en direction d’Istanbul, ses passagers sont loin d’imaginer que c’est une version ferroviaire du Radeau de La Méduse dont ils sont sur le point de devenir les personnages principaux, fort malgré eux.

A dire vrai, leur faste trajet se déroule sans encombre jusqu’à ce que le train luxueux passe la frontière bulgare. Seuls 130 maigres kilomètres le séparent de son terminus quand à son arrivée en Thrace orientale, il fait face à des conditions météorologiques d’une ampleur inédite. Une puissante tempête de neige fait rage au point de former des amas de neige de grande ampleur sur les voies. Bientôt, alors que le train arrive au village de Tcherkesskeuy (Çerkezköy), la situation prend une tournure telle que le train est soudainement bloqué au milieu d’une Turquie aux allures de Sibérie. Impossible aussi de rebrousser chemin en faisant machine arrière : en amont et en aval, la neige qui n’en finit pas de tomber en palanquées, se transforme dorénavant en glace.

Alors que la température n’en finit pas de descendre pour atteindre les -25°C, la neige ensevelit méthodiquement le train dont on ne perçoit plus guère la forme que grâce aux lumières et à la vapeur qui s’en échappent encore. C’est bien simple : l’Orient-Express a disparu, emmitouflé dans un mastaba de blancheur à glacer le sang de ses occupants. Et à Istanbul, l’absence en gare du train mythique, connu pour sa ponctualité, surprend d’abord, avant de commencer à inquiéter au plus haut point.

A bord du train, la situation est tout aussi préoccupante. Faute de secours, le personnel de bord va se démener pour assurer la survie des voyageurs. A cause des températures glaciales, l’eau gèle tandis que le charbon manque au point de supprimer tout chauffage. Voici donc des agents du train montant sur les toits des voitures pour collecter de la glace qu’ils essayent ensuite de transformer en eau à l'aide de briquets. De leur côté, les paysans de Tcherkesskeuy, d’abord curieux, y voient une aubaine.

Eux aussi ont entendu parler de la renommée des voyageurs de ce train pas comme les autres, et les voilà qui monnayent à prix d’or le produit de leurs terres et de leurs fermes. Après plusieurs jours d’immobilisation, les vivres manquant, du pain rassis est parfois troqué contre une fortune. Plus courageux, un Britannique embarqué à bord avec son fusil, tue un loup rôdant près du train, dont la viande sera cahin-caha servie aux passagers. On est loin du mythe bucolique de l’Orient-Express!

Les jours passent et comme tout le monde, Agatha Christie découvre l’affaire à la une des journaux du monde entier. La pression monte sur les différents responsables, qui ont envoyé à la rescousse une locomotive chasse-neige américaine. Il lui faudra plusieurs jours pour enfin débusquer le convoi-fantôme, avant de le remorquer lentement tant la glace a pris racine sur les rails. C’est au bout d’un périple de douze jours (contre trois de trajet normalement) que miraculeusement, ses passagers arriveront sans le moindre mort ni blessé, grâce à l’attitude héroïque du personnel de bord.

Ce train coupé du monde, pendant près d’un demi-mois, sera l’élément déclencheur de l’inspiration de la romancière britannique pour écrire un livre intemporel, dont le récit impressionne toujours autant par le sens de ses détails. De son intrigue et son dénouement, toutefois, nous ne dirons mot, car tout indice constituerait une privation du plaisir à vous y plonger, si vous ne l’avez pas encore lu !

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