Consuelo de Haviland, la femme du Paris-Moscou

Quand une actrice ressuscite un train mythique

C’est à bord de l’ancêtre du Moscou-Express qu’Antoine de Saint-Exupéry a trouvé une source d’inspiration qui allait rendre son œuvre inoubliable. Cette ligne historique vieille de plus d’un siècle, fut suspendue en 1994. Jusqu’alors, la différence d’écartement des rails à la frontière russe, donnait un caractère épique au voyage : ses bogies - les chariots sur lesquels s’articule le châssis des wagons pour lui permettre de prendre les courbes - devaient être changés en gare de Brest (Biélorussie). En dépit de ce défi technique et de la durée de trajet, la ligne connut un grand succès, quelques années encore après la guerre froide.

Pourtant, alors que la situation internationale est à l’embellie, la liaison s’éteint, sans beaucoup plus d’explications que cela. Les années passent, et le trafic aérien en pleine expansion aidant, beaucoup l’oublient. Jusqu’à ce jour où Consuelo de Haviland, pensant qu’il circule encore, décide d’appeler la SNCF pour réserver un trajet de Paris à Moscou.

A cette époque, elle partage en effet sa vie entre les deux capitales. Après avoir joué au cinéma pour Jacques Demy, Patrick Bouchitey ou encore Cédric Klapisch, sa carrière d’actrice a pris une nouvelle direction quand elle signe pour trois saisons lors desquelles elle doit assurer le rôle titre d’une pièce de Tchekhov, à Moscou. Ses différents engagements lui imposent nombre d’allers-retours en avion, sauf que voilà, deux incidents - dont tous les passagers ne ressortiront pas vivants - surviennent.

Une première fois, un avion à bord duquel elle se trouve entre dans le vortex d’un orage sec. Panique à bord, tant le contrôle de l’appareil est temporairement perdu : il en coûtera la vie à un passager dont le cœur lâchera. Une seconde fois, c’est un incendie qui se déclarera dans l’aéronef, déjà élancé en plein ciel. Après ça, son appréhension à l’idée de prendre l’avion devient irrépressible.

C’est à ce moment-là que Consuelo se souvient que la première fois où elle s’était rendue dans l’URSS d’alors, en 1986, elle avait pris le train durant 56 heures. La voici donc qui appelle la SNCF pour savoir quand ce train part donc pour Moscou. Au bout du combiné, la personne qui a décroché lui dit qu’il n’y en a pas. Consuelo demande alors pourquoi il n’y en a plus, plutôt. Pour toute réponse, on lui rétorque alors qu'on n’a “aucune information, car on ne parle pas aux Russes”.

C’est donc l’avion qu’elle continue à prendre pour aller à Moscou, sans pour autant renoncer à cette idée fixe de comprendre pourquoi le dialogue ferroviaire est à ce point rompu. A Moscou, à force de poser des questions sur le sujet, elle finit par obtenir un rendez-vous avec Vladimir Ivanovic Yakunin. C’est le président de la RJD, la compagnie des chemins de fer russes, qui compte 1,5 million d’employés pour s’occuper du plus grand réseau ferré au monde. Il la reçoit et alors qu’elle lui fait part de son étonnement, il lui explique qu’il n’a jamais reçu la moindre réponse à ses courriers aux dirigeants de la SNCF, depuis 1991.

Consuelo ne comprend pas et c’est à ce moment-là que le président de la RJD saute sur l’occasion et lui dit : “tu es française, fais quelque chose”. Alors qu’elle était venue pour des explications, la voici repartant investie d’un mandat de la RJD pour discuter avec la SNCF. A son retour à Paris, c’est ce qu’elle fait en rencontrant la personne chargée des affaires internationales de la compagnie française, à qui elle explique ne pas comprendre pourquoi l’entreprise publique passe à côté d’un tel marché. Le rendez-vous débouche sur une lettre officielle de la SNCF à la RJD, qu’elle remet en mains propres à Vladimir Yakunin.

Consuelo vient de réussir le tour de force de remettre tout le monde autour de la table, puisque très vite, la Russie décide d’envoyer une délégation ministérielle en France. Elle pense en avoir fini mais il n’en est rien : Vladimir Yakunin lui demande à présent de se charger de remettre en place ce train qu’elle voulait tant ! Elle qui pensait retrouver les planches, va durant 27 mois, travailler à coordonner Français et Russes, puis Allemands, Polonais et Biélorusses, pour y parvenir.

C’est chose faite le 10 décembre 2007 et le renouveau de la liaison Moscou-Paris est célébré en grande pompe. Dix voitures relient les capitales moyennant 36 heures de trajet. Alors que peu croyaient en sa capacité à y arriver, Consuelo aura méthodiquement démenti ceux qui l’avaient méjugée. Elle ne retrouvera pour autant toujours pas les planches, puisque la RJD la chargera dans la foulée de présider à la remise en service d’une autre ligne mythique : le Moscou-Nice. Forte de ses relations devenues excellentes avec la SNCF, Consuelo va là aussi y parvenir avec maestría : “les gares sont devenues ses théâtres”, comme elle dit en souriant.

Seule ombre au tableau : impossible pour vous d’emprunter le Moscou-Nice ou le Moscou-Paris. La pandémie et les restrictions associées à chacun des pays traversés, rendent la chose actuellement impossible. Alors en attendant que ces lignes ouvrent à nouveau, Consuelo rêve à une autre liaison ferroviaire qui serait forte en symbole : le Séoul-Pyongyang. Et il faut dire que s’il devenait une réalité, ce serait un trait-de-réunion historique.


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