Ces cheminots français qui ont résisté à l’occupation nazie

La résistance du fer

5 juin 1944. La France occupée est plongée dans le silence. Il est presque 21h15 et nous sommes à l’aube d’un moment historique. Caché dans le recoin d’une chambre, dans un réduit ou dans une cave, vous avez allumé votre poste de radio sur la fréquence de la BBC. Comme chaque soir, vous attendez fébrilement. Soudain, une série de messages codés commence. C’est le signal que vous attendiez pour passer à l’action. En tant que cheminots, vos camarades et vous devez mettre en place le Plan Vert pour soutenir le débarquement imminent des forces alliées sur l’une des côtes du territoire occupé. Il est largement temps de mettre les forces nazies dehors.

Élaboré par le “Bloc Planning” du Bureau de renseignement et d'action de Londres (le BRAL, anciennement appelé le BCRA), l’objectif du Plan Vert est très simple : il consiste à paralyser le réseau ferroviaire français afin d’empêcher les troupes allemandes de recevoir des renforts à temps pour contrecarrer l’offensive alliée. Celle-ci pourra ainsi mettre en place des têtes de pont suffisamment solides pour que les forces de libération continuent à avancer. Dès le lendemain du message, et durant tout l’été 1944, 820 locomotives sont endommagées. Plus un seul train ne peut faire un long trajet sur le territoire français sans être interrompu au cours de son itinéraire. Plus impressionnant encore, même lorsque les voies sont remises en état, elles sont rapidement remises hors d’usage par les nombreux résistants qui se cachent parmi les cheminots. A noter que cette action est renforcée par les bombardements ciblés des alliés sur les lignes de chemins de fer.

Le Plan Vert ne représente qu’une partie du plan allié pour la Résistance française. Le Plan Violet consiste quant à lui en un sabotage des lignes téléphoniques tandis que le Plan Bleu s’occupe des lignes à haute tension pour priver les zones côtières d’électricité et empêcher, encore un peu plus, les lignes de train électrifiées de fonctionner. Les routes du Nord-Ouest de la France seront elles aussi paralysées par le Plan Tortue, qui prendra ensuite le nom de Plan Bibendum. Enfin, le Plan Rouge prévoit des insurrections armées dans des zones stratégiques pour harceler l’arrière des lignes du IIIe Reich et fixer une partie de ses troupes. Bref, tout a été prévu pour exploiter au mieux les compétences des résistants présents sur le sol français.

Les cheminots français n’ont toutefois pas attendu la veille du débarquement de Normandie pour se mobiliser contre l’Occupation nazie. Dès que le régime d'Adolf Hitler exige la mise à disposition du réseau ferré français, des actions se mettent en place pour ralentir l’activité globale de l’ennemi. Certaines sont hautement symboliques. C’est le cas de ce moment où tout un atelier fait 10 minutes de silence pour célébrer l’Armistice du 11 novembre. Ou celui où certains employés de la SNCF chantent la Marseillaise lors d’un 14 juillet. Sans surprise, ces initiatives sont brutalement réprimées par les officiers allemands qui vont parfois jusqu’à tirer dans la foule pour disperser les courageux.

Les résistants se livrent aussi à des actions bien plus concrètes, des petites comme des grosses. Les plus discrètes consistent par exemple à ne pas travailler ou à faire preuve d’une certaine lenteur pour ralentir la machine nazie. D’autres, plus créatives, prennent des formes surprenantes, comme de changer les étiquettes de départ et de destination de certains wagons pour que du matériel attendu en Allemagne arrive ailleurs ou que des wagons vides soient emmenés à Berlin. Enfin, en plus des écritures sur les murs, des tracts et des journaux clandestins, il y a les célèbres déraillements de train. Là encore, l’expérience et les compétences des cheminots se révèlent fondamentales. Certains découvrent en effet que les explosifs qui leur sont parfois envoyés par les forces alliées pour faire sauter les voies ne sont pas le moyen le plus efficace d’empêcher de passer un train lancé à pleine vitesse. Il vaut mieux déboulonner la voie et l’orienter dans une autre direction. Aussi secrètes que dangereuses, ces opérations se font le plus souvent en pleine nuit, réalisées par des hommes qui savent que s’ils se font attraper, ce sera la torture, puis l’exécution.

Ce qui rend la résistance des cheminots exceptionnelle, c’est qu’elle s’est développée à de très nombreux endroits de la France, souvent sous la forme d’action individuelle ou de très petits groupes. Si certains cheminots étaient très intégrés aux réseaux comme NAP-fer, la branche ferroviaire du NAP, à Libération ou à Vengeance, on sait aujourd’hui que certains ont opéré presque seuls durant des années, parfois simplement en vissant mal quelque chose ou mettant un coup de marteau au mauvais endroit. Enfin, les cheminots ont aussi transmis des informations capitales aux forces alliées, qui ont permis de mener des opérations aussi précises et efficaces que possible. Mais le point d’orgue de cette résistance est probablement la grève insurrectionnelle des cheminots le 10 août 1944, qui est l’un des éléments-clés de la libération de Paris. Bien sûr, ces colonnes ne suffiraient pas à contenir chaque acte de résistance des travailleurs du ferroviaire ni à raconter le détails des différents mouvements qu’ils ont rejoints ou fondés avant d’être regroupés sous la bannière de Résistance-fer en 1943. Par contre, nous avions envie de vous rappeler que le rail a été l’un des plus grands maquis de France.

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