À la découverte de l'aérotrain de Jean Bertin

Histoire du génie et de l’échec français

Est-ce un oiseau ? Est-ce un avion ? Non, c’est l’aérotrain. Voici comment aurait pu commencer le générique de la série Netflix que mériterait cette invention comptant parmi les plus étonnantes de l’histoire du transport ferroviaire. Et pour cause, ce train sur coussins d’air conçu par un ingénieur français a bien failli damner le pion au célébrissime TGV bleu-blanc-rouge. Il se murmure même qu’il serait l’une des inspirations de l’Hyperloop d’Elon Musk.

L’idée de l’aérotrain naît dans la tête de Jean Bertin dans les années 1950. A l’époque, ce brillant polytechnicien dirige une société sobrement appelée Bertin & Cie quand l’un de ses ingénieurs découvre ce que l’on appelle “l’effet de sol” alors qu’il travaille sur des silencieux pour moteurs. Pour faire simple, Bertin et ses équipes réalisent qu’ils pourraient faire voler des véhicules à quelques centimètres du sol grâce à une technologie sur laquelle ils travaillent.

Après des recherches plus approfondies, Bertin est pourtant sur le point de renoncer. Ses conclusions révèlent en effet qu’il faudrait que les véhicules volants soient gigantesques pour pouvoir fonctionner. Il apprend pourtant qu'un groupe de chercheurs anglais prévoit de lancer un hovercraft, un véhicule basé sur une technologie proche de la sienne. Piqué au vif, il reprend alors ses recherches et se met en quête de financements. Sa première piste est le développement d’un véhicule à vocation militaire appelé le Terraplane BC4. Si celui-ci ne dépassera jamais le prototype, le dépôt de son brevet est considéré par Jean Bertin comme l’acte de naissance de l’aérotrain.

L’ingénieur considère que sa technologie a un immense potentiel et développe son idée d’un train sur coussin d’air pour le civil. La RATP se montre rapidement intéressée mais l’idée de devoir transformer tout son réseau la fait vite changer d’avis. Contrairement aux trains sur rails, l’aérotrain se déplace le long d’un monorail en béton en forme de T inversé, ce qui impliquerait de refaire tout le réseau du métro à neuf. L’ampleur de tels travaux n’effraie cependant pas la SNCF qui se montre intéressée à son tour. La France est à la recherche d’une technologie de train à grande vitesse et le projet de Bertin a tout pour séduire l’opérateur. Si bien qu’un comité de l’aérotrain est créé, au sein duquel le projet est désigné sous le nom de code C02. Le C03 n’étant autre que le TGV.

Les choses prennent alors de la vitesse. Nous sommes en 1965 et le Premier ministre Georges Pompidou, qui deviendra président de la République en 1969, est séduit par ce projet aux allures futuristes. Un financement public se débloque et permet à Jean Bertin de construire un prototype capable de transporter quatre personnes. Poussé par une hélice et un moteur d’avion, il atteint la vitesse de 200 km/heure sur une ligne spécialement construite sur les restes de l’ancienne liaison Paris-Chartres. L’année suivante, il grimpe jusqu’à 345 km/heure, soit plus que la vitesse de croisière du TGV de 320 km/heure.

Une nouvelle ligne de test est construite au nord d’Orléans. Longue de 18 kilomètres, elle est constituée de tronçons de 120 mètres, portés par neuf cents poteaux de dix mètres de haut. C’est grâce à elle que le second prototype de l’aérotrain parviendra à se déplacer à 422 km/heure en 1969, puis 430,2 km/heure en 1974. Il faudra attendre 1981 pour que le TGV passe la barre des 382 km/heure et 1989 pour qu’il surpasse la performance de l’aérotrain. Ce dernier détient toujours le record de vitesse d’un véhicule sur coussins d’air.

Ce sont d’ailleurs ces coussins d’air qui permettent à ce véhicule d’aller si vite. En le décollant du sol, ils lui évitent tout frottement avec ce dernier, qui est l’un des principaux facteurs de ralentissement des véhicules terrestres quels qu’ils soient. La technologie de Bertin semble viable et des lignes sont pensées pour être installées un peu partout en France : un Paris-Orléans en 15 minutes, un Paris-Lyon en une heure et ainsi de suite. Petite précision étonnante, l’aérotrain ne prévoyait pas de prendre ses passagers sur un quai installé au bord des rails mais sur des plateformes dédiées. L’idée étant qu’il sorte de son rail, fasse demi-tour et embarque les usagers avant de repartir.

Pourtant, en 1974, les choses se gâtent. L’année précédente, le monde économique a été secoué par le premier choc pétrolier, ce qui contraint l’aérotrain et le TGV à s’interroger sur leur propulsion, basée sur des moteurs thermiques. Tandis que le train à grande vitesse se penche sur la traction électrique, son concurrent a du mal à trouver une solution. Ce qui n’empêche pourtant pas la signature d’un contrat pour la construction d’une ligne d’aérotrain allant de Cergy-Pontoise au quartier d’affaires de la Défense. Mais celui-ci est annulé dans la foulée. 

Georges Pompidou meurt en effet en 1974, laissant sa place à l’Elysée au jeune Valéry Giscard-d’Estaing. Ce dernier n’est pas aussi favorable à l’aérotrain que son prédécesseur et, sous la pression de la SNCF, il fait en sorte que la liaison Cergy-La Défense soit assurée par un train standard, devenu l’une des branches de l’inénarrable RER A. Jean Bertin comprend que son invention ne deviendra pas ce qu’elle aurait pu être, il meurt en 1975 d’un cancer. L’aérotrain ne lui survivra que de quelques années puisqu’il effectue son dernier vol en 1977. Il n’en reste aujourd'hui que les lignes d’essais et des appareils remisés dans des hangars. Depuis quelques années, des passionnés du sujet tentent de faire revivre le projet, mais tout cela semble tenir de l’utopie. Une jolie utopie où les trains volent.

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