Depuis le lancement de Midnight Weekly, nous avons souvent parlé de l’Orient-Express, de ses fantômes, ses histoires coquines ou encore ses péripéties mythiques. Si nous accordons autant de place dans nos colonnes à ce train de légende, c’est parce que son créateur, Georges Nagelmackers, l’a imaginé en suivant une logique qui fait écho à celle avec laquelle nous avons pensé Midnight Trains : rendre le train de nuit agréable et le doter de tout le confort moderne. La seule véritable différence se trouve dans le fait que nos hôtels sur rails ne sont pas réservés aux plus aisés. Comme on sait que vous aimez nos séries, nous en lançons donc une de deux épisodes consacrée à ce visionnaire et à son inspirateur américain, George Pullman.
L’inventeur de l’Orient-Express est né le 25 juin 1845 dans le tout jeune royaume de Belgique, alors âgé d’à peine 15 ans, dans une famille richissime. Son père et son grand-père ont en effet bâti un empire bancaire et industriel que le jeune Georges est appelé à diriger un jour. Celui-ci ne goûte pourtant que peu à ces secteurs et décide d’entreprendre des études d’ingénieur, avec un focus particulier sur la gestion de projets. Il ne le sait pas encore mais il est déjà en quête de la grande idée de sa vie.
C’est paradoxalement une histoire d’amour impossible qui va lui ouvrir la voie vers celle-ci. A l’âge de 22 ans, le jeune Georges tombe amoureux de…sa cousine et insiste pour l’épouser malgré le scandale que cette décision provoque dans sa famille. Convaincu que les voyages remettent les idées en place, son père lui prend donc un billet sur le premier paquebot en direction de New York pour qu’il visite les Etats-Unis d’Amérique.
Sa première rencontre déterminante se déroule au cours de la traversée. A bord du paquebot qui l’emmène loin de son amour interdit, le jeune Georges se lie d’amitiié avec Samuel Cunard, le fondateur de Cunar Line, la plus vieille compagnie maritime encore en activité aujourd’hui. Les deux hommes passent une partie de leur trajet à discuter de la façon dont les passagers des croisières transatlantiques sont accueillis, hébergés et servis. Là encore, les informations qui s’accumulent dans la tête de Nagelmackers vont s’avérer capitales pour la suite de sa vie.
Une fois aux Etats-Unis, le jeune homme se met à sillonner le pays en train. Il est tout de suite interpellé par les trains de nuit de George Pullman. Mais contrairement à un touriste ordinaire, il note scrupuleusement ce dont les autres passagers se plaignent : le manque d’intimité -surtout pour les femmes - le confort tout relatif, le bruit,... Plus les mois passent, plus Georges est sûr de lui. Dès son retour en Europe, il lancera un projet du même ordre, corrigé et amélioré. D’ailleurs, il a déjà esquissé quelques croquis au cours de son séjour étatsunien.
Une fois rentré en Belgique, ses parents lui confient d’importantes responsabilités au sein des affaires familiales. Georges n’en a que faire. Dès qu’il a du temps libre, il planche sur son projet et publie à compte d’auteur une brochure de 32 pages appelée Projet d'installation de wagons-lits sur les chemins de fer du continent où le terme de wagon-lit apparaît pour la première fois. Sa famille le prend mal et lui coupe les vivres. L’ingénieur n’en a cure. En plus d’être un curieux et un mondain, il est un faiseur. En 1872, il conçoit, paie et dirige la construction d’un premier wagon-lits. Soutenu par le roi Léopold II lui-même, avec qui sa famille entretient des liens profonds, un test est réalisé la même année entre Paris et Vienne. C’est un succès.
D’autres trajets sont mis en place mais l’argent vient à manquer, et les banquiers se retirent. Georges Nagelmackers ne se décourage pas pour autant. Il file alors à Londres pour trouver du soutien et, une fois encore, c’est une rencontre mondaine qui va tout changer. Il fait en effet la connaissance du colonel américain William d'Alton Mann, qui a fait fortune en brevetant un sac à dos pour fantassins et a déposé un brevet pour une voiture-lits. Le coup de foudre est immédiat et les deux hommes s’associent pour créer des wagons-lits faits de compartiments fermés desservis par un couloir latéral, avec un accès aux toilettes au bout de chaque voiture. Un luxe immense en comparaison des lits alignés le long d’un couloir central des créations de Pullman.
Tous les deux très proches des cours royales et des milieux d’affaires européens, les compères jouent de leurs relations pour s’attirer des fonds et susciter l’intérêt des puissants. En 1976, ils fondent donc la Compagnie internationale des wagons-lits et des grands express européens,parvenant même à convaincre le Prince de Galles d’utiliser une de leurs cinquante-trois voitures flambant neuves pour se rendre au mariage de son frère à Saint-Pétersbourg. Le roi Léopold II les utilise aussi régulièrement pour se rendre à Paris, où il s’est amouraché d’une danseuse. Lorsque le colonel Mann se retire de l’affaire, le monarque belge rachète d’ailleurs lui-même une partie de ses actions au sein de la société.
Georges, lui, voit toujours plus grand. Il se fait construire un château à Villepreux, près de Versailles et sent qu’il peut aller encore plus loin. Sa vie mondaine et ses nombreuses rencontres lui font comprendre que le raffinement de ses trains n’a pas encore atteint son acmé. C’est de ce constat que naît l’idée de l’Orient-Express, un train de transport luxueux et ultra confortable à bord duquel les puissants de ce monde peuvent voyager, dormir et se restaurer à leur aise. Sept ans plus tard, il parachève son projet en lançant la Compagnie internationale des Grands Hôtels, une chaîne d’établissements de prestige présents dans plusieurs villes du parcours de l’Orient-Express. Ce sera son dernier grand projet avant qu’il ne quitte notre monde à Villepreux, dans son château, en 1905.
La vision du transport ferroviaire de Georges Nagelmackers a été une grande inspiration pour la création de Midnight Trains. Si nous ne partageons pas son obsession du luxe et sa détermination à se limiter à une clientèle de privilégiés, nous nous retrouvons dans sa volonté de faire du train un moyen de se déplacer facilement, confortablement et dans des conditions résolument contemporaines entre les grandes villes d’Europe. Une grande pensée donc pour celui qui, en son temps, a popularisé cette idée qu’on ne voyage jamais mieux que sur le rail.