Luxure, adultères et chemins de fer

Voulez-vous prendre le train avec moi, ce soir ?

L’Orient-Express est encore aujourd’hui, l’épicentre mythologique des trains de nuit à travers le monde. Et si chacun de nous y associe des anecdotes et des histoires, qui ont parfois donné lieu à de grands récits, nous avons eu envie de vous raconter un pan de son histoire souvent méconnu, donnant à ce train une dimension interlope, tant le sens du mot voyage pouvait y prendre une toute autre dimension.

Sans doute est-ce parce que le train a ce pouvoir de suspendre le temps, et plus encore dans le cas de celui que l’on prend pour changer d’univers au gré d’une nuit, que plusieurs de ses voyageurs illustres l’ont envisagé pour un doux périple oscillant entre luxe et luxure, quand il n’était pas tout simplement le théâtre d’un longuet sept-à-cinq.

Et en la matière, les têtes couronnées n’étaient pas en reste à la fin du XIXe siècle. Le sultan ottoman Abdülhamid II embarquait depuis Constantinople, la capitale de son empire, rien de moins qu’accompagné de ses huit femmes, composant son harem. Le roi des Belges, Léopold II, n’était pas en reste. Il trouva en l’épopée ferroviaire par excellence d’alors, une opportunité pour vivre son amour adultérin avec la danseuse Cléo de Mérode.

Plus tard au XXe siècle, c’est une des actrices qui a marqué cette époque qui fait de l’Orient-Express, son nid d’amour sur rails. Cette femme d’exception, c’est Marlène Dietrich. Et pour elle aussi, le train de nuit a tout du transport amoureux. A bord, elle embarque évidemment avec celui qui fut son pygmalion, Joseph von Sternberg. Mais comme Léopold II, l’Orient-Express est aussi son lieu de rendez-vous avec l’un de ses amants, en la personne du séduisant Jean Gabin.

Oui, le train a de quoi lui aussi prétendre être nommé désir. Et si d’autres, sans doute plus discrets, auront réussi à ne pas participer à sa légende idyllique, cela aura suffi à donner des idées disons inattendues. L’exemple le plus improbable nous en est donné par un établissement qui a heureusement fermé ses portes en 1946.

Ce lieu se trouvait alors au 122 rue de Provence, à Paris, à quelques encablures d’une des plus belles gares de capitale française, la gare Saint-Lazare. Cette adresse, c’était celle d’une maison close : le One Two Two, fréquenté pendant l’entre-deux-guerres par le ban et l’arrière-ban de la Gestapo. Fabienne Jamet, la patronne du One Two Two, n’avait rien trouvé de mieux que d’aménager l’une des chambres comme une chambre de l’Orient-Express.

Dans le livre L'Orient-Express: du voyage extraordinaire aux illusions perdues, l’écrivaine Blanche El Gammal rapporte ces mots de la mère-maquerelle du One Two Two expliquant son concept douteux : "La voyageuse du sleeping était peu farouche. Les inconnus lui plaisaient. Et vous n’aviez très vite plus aucun doute, elle adorait faire l’amour dans un sleeping. Au-dessus de l’étroite couchette, le mini-éclairage d’un wagon-lit mettait en lumière vos ébats, bercés par le bruit régulier d’un train en marche. Derrière la vitre du compartiment, le paysage (…) défilait de toute sa longueur de toile montée sur déroulant. Il avait suffi pour déclencher le double mécanisme d’appuyer à l’entrée sur un bouton”.

Sulfureux Orient-Express, et il faut dire que la littérature ne fut pas en reste pour alimenter la machine à fantasmes. Et s’il devait être fait état d’un récit entre mille, ce serait sans nul doute Onze mille verges, roman érotique du poète Guillaume Apollinaire, qui fut grand bruit lors de sa parution. Nous vous épargnerons l’extrait où le prince Mony et son compagnon de voyage Cornaboeux se laissent aller à la bagatelle, une fois montés à bord du train mythique. Tout juste nous semble-t-il pertinent de rapporter les mots d’un autre écrivain, Alphonse Allais, cités en préambule à cet épisode, pour vous en faire une idée : “La trépidation excitante des trains nous glisse des désirs dans la moelle des reins”.

C’est l’ouverture de Midnight Weekly la plus mâtine que nous nous sommes autorisée jusqu’à présent. Les trains de nuit n’ont pas fini de vous surprendre, tant les récits à leur bord, sont parfois à des lieues de ce à quoi vous pourriez vous attendre pour un moyen de transport. Rendez-vous dans nos prochaines éditions, pour plus encore de chemins ferroviaires de traverse !

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