Trois mois après, le passe transport à 9 euros

Grandeur et décadence d’une belle initiative

Au début du mois de juin dernier, l’Allemagne a lancé une offre qui a fait trembler le petit monde du rail : un ticket à 9 euros par mois permettant d’utiliser tous les réseaux de transports en commun et tous les trains régionaux du pays. Prévue pour durer trois mois, de début juin à fin août, cette initiative du gouvernement d’Olaf Scholz avait pour but de lutter contre l’inflation tout en incitant les Allemands à renoncer à leurs voitures pour se déplacer dans le pays au cours de l’été. Ce qui semble être difficilement critiquable sur le principe.

Les Allemands se sont d’ailleurs pris au jeu puisque plus de 40 millions de ces passes transport se sont vendus au cours de la période estivale. Le succès auprès de la population est donc indéniable et une importante partie de celle-ci s’est jetée dans les bus, les trams et les trains du réseau germanique. Au point qu’un sondage, réalisé par Civey entre le 1er et le 8 août 2022 pour le célèbre Spiegel, a révélé que 55% des Allemands souhaitent que la mesure soit conservée au-delà des mois d’été. D’autres chiffres révèlent toutefois que le soutien à ce ticket varie beaucoup en fonction de la répartition géographique des personnes interrogées : environ 40% dans les campagnes contre 80% dans les grandes villes.

Pourtant, à l’heure où sont écrites ces lignes, ni le gouvernement ni les Landers n’ont proposé de la maintenir. Et les raisons sont multiples. La première d’entre elles est le prix de ce ticket. S’il ne coûte que 9 euros chaque mois aux usagers, il en coûterait mensuellement un milliard à l’Etat allemand. Ce qui conduit le ministre des Transports, le libéral-démocrate du FDP Christian Lindner, à s’opposer à ce que cette initiative reste d’actualité. Celle-ci divise donc la coalition du gouvernement d’Olaf Scholz puisque Les Verts, également membres de cette alliance, refusent quant à eux de renoncer au ticket à 9 euros. Ils ont même proposé que celui-ci passe à 29 euros pour un déplacement illimité dans la région et de 49 à 69 euros pour l’ensemble de l’Allemagne.

Le lancement de cette carte d’abonnement a aussi posé d’importants problèmes structurels dans la gestion du réseau. Ainsi, la Deutsche Bahn (DB), qui n’avait visiblement pas été consultée en amont par le gouvernement, dispose chaque semaine de 3 millions de places dans ses trains. Seul problème, malgré des trains supplémentaires, le réseau n’est pas adapté à un imprévisible afflux de passagers sans réservation mais munis de tickets à 9 euros. Ce qui, selon de nombreux témoignages relayés dans la presse internationale, aurait donné lieu à des scènes surréalistes. Dans les colonnes du journal français Le Monde, Martin Burkert, vice-président du syndicat du transport ferroviaire, raconte qu’il a vu tomber des passagers de wagons trop pleins au moment où leurs portent s’ouvraient à l’arrivée en gare. Plus classique mais tout aussi problématique, usagers et employés décrivent quant à eux des trains bondés et en retard, des zones de restauration impossibles à atteindre, des toilettes, des escalators, des ascenseurs et des panneaux d’affichage presque systématiquement en panne faute de maintenance. La priorité étant donnée à la sécurité, le personnel ne pouvait plus s’occuper des autres problèmes apparaissant dans les gares et dans les trains.

Enfin, et c’est peut-être le plus terrible des constats, cette initiative n’a eu qu’un impact climatique relatif. Et pour cause, selon la Fédération des régies de transport (VDV), les utilisateurs de ce fameux ticket ne sont que 3% à avoir laissé leur véhicule sur sa place de parking ou dans son garage. Pour un total, toujours selon la VDV, de 1,8 million de tonnes de carbone économisées. Un constat qui n’est pas anodin mais qui n’empêche pas les partisans de cette mesure de s’en féliciter et ses détracteurs d’en parler comme d’un gigantesque gâchis d’argent profitant essentiellement aux habitants des grands centres urbains. Quoi qu’il en soit, le nombre de tickets à 9 euros vendus dans ce pays d’un peu plus de 83,2 millions d’habitants témoigne d’un engouement populaire certain. 

Comme dans toute initiative écologique, surtout lorsqu’elle est de cette ampleur, les bonnes intentions ne suffisent donc pas. A n’en pas douter, une opération de quasi gratuité des transports aurait toutes les chances de fonctionner plus efficacement si elle ressemblait moins à un coup politique et plus à une concertation multipartite. Si elle avait par exemple été planifiée de concert par les acteurs-clés du secteur ferroviaire : gouvernement, direction des régions, opérateurs historiques, nouveaux entrants sur le marché, syndicats divers, associations d’usagers, etc. Cependant, maintenant que l’on sait que les Allemands, et probablement le reste des Européens, en raffolent, il ne reste plus qu’à recommencer. Avec détermination et planification.

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