Quand l'art fait son entrée en gare

Et l'Origine du monde élit domicile dans une station ferroviaire

Quiconque a visité Paris l’a au moins admiré quand il ne l’a pas visité. En plein cœur de la Ville-Lumière, flirtant avec le ruban aqueux de la Seine, le Musée d’Orsay est là, faisant face splendidement au jardin extraordinaire des Tuileries. Ses collections offrent un voyage aussi impressionnant qu’impressionniste - pour bonne part - dans le temps. Le Déjeuner sur l'herbe, L'Origine du monde ou encore Le Bal du moulin de la Galette sont autant de chefs-d'œuvre qui y éveillent les sens de ses visiteurs.

La richesse du lieu est si foisonnante qu’on en oublierait presque ce musée qui n’est jamais qu’un trentenaire encore fringant, lui qui a ouvert ses portes en 1986, a pris ses quartiers dans un édifice centenaire depuis belle lurette, pour sa part. Car ce bâtiment a été une gare d’avant-garde pendant des décennies : c’est l’histoire parfois chaotique de cette reconversion que nous vous racontons, cette semaine.

A dire vrai, l’emplacement prestigieux du lieu donne des idées en premier lieu à Napoléon Ier. C’est lui qui en 1810 décide de créer sur ce site, la caserne de cavalerie de la capitale impériale ainsi que le Palais d’Orsay. Si ce dernier a initialement pour mission d’accueillir le ministère des Relations extérieures, il hébergera finalement le Conseil d’Etat et la Cour des Comptes, jusqu’à ce que les événements de la Commune de Paris en décident autrement. Dans la nuit du 23 au 24 mai 1871, les insurgés incendient le bâtiment et c’est Emile Zola qui raconte le mieux sa mise à feu dans La Débâcle.

« L'incendie immense, le plus énorme, le plus effroyable, le cube de pierre géant, aux deux étages de portiques, vomissant des flammes. Les quatre bâtiments, qui entouraient la grande cour intérieure, avaient pris feu à la fois ; et, là, le pétrole, versé à pleines tonnes dans les quatre escaliers, aux quatre angles, avait ruisselé, roulant le long des marches des torrents de l’enfer. »

C’est une épave désaffectée qui trône dès lors en bord de Seine, pendant plusieurs décennies. Mais voilà, alors que Paris s’apprête à accueillir l’Exposition universelle pour la cinquième fois de son histoire en 1900, le phoenix va renaître une première fois de ses cendres avec dans le rôle du réanimateur, la compagnie de chemin de fer privée Paris-Orléans. Alors que cet événement international doit convoyer nombre de voyageurs, elle rachète les lieux pour y édifier une gare qu’elle veut être le joyau de sa couronne.

Construite dans la prolongation de la gare d’Austerlitz, c’est Victor Laloux qui va en piloter la mise en œuvre. Mission lui est confiée de créer une cathédrale ferroviaire qui marquera l’histoire et devra aussi comporter un hôtel de luxe. Le résultat doit être à la hauteur du voisinage puisque non loin de là, trône rien de moins que le palais du Louvre. L’architecte a une grande chance : cette gare sera la première conçue pour accueillir des trains uniquement tractés par des locomotives électriques.

Fort de l’éviction des vapeurs et fumées noirâtres que leurs aïeules expurgeaient, il va avoir le loisir de créer un bâtiment en grande partie clos dont le témoignage le plus éloquent est la verrière, comme d’envisager un décorum sans le souci de le voir assombri par la pollution. Au printemps 1988, les travaux sont lancés et on devra le chef-d'œuvre architectural à l’action déterminante de 300 ouvriers de jour et de 80 de nuit, qui se relaient sans relâche. Le 14 juillet 1900, l’ultra-moderne gare d’Orsay est inaugurée.

Le temps passe et la modernité d’un temps trépasse toujours. Le progrès ferroviaire se poursuit à grandes enjambées et la gare d’Orsay a du mal à suivre, notamment car ses quais trop courts ne sont plus conformes à la longueur des trains. En 1939, son déclin est avéré quand on lui affecte de ne plus s’occuper que des trains de banlieue. Malgré cela, les lieux ne manqueront pas de continuer à se charger d’histoire. En 1945, elle devient un centre d’accueil au retour des déportés et des prisonniers de la Seconde Guerre mondiale et c’est aussi là que le Général de Gaulle décidera de faire son discours signant son grand retour en 1958.

Pas de quoi empêcher que le trafic ferroviaire y prenne fin pour de bon en 1958 et que l’hôtel de luxe accueille ses derniers visiteurs en 1973. C’est un éléphant blanc qui prend alors ses quartiers en plein coeur de Paris, car personne ne veut adopter le pachyderme. Des projets sont proposés, comme celui d’un centre administratif d’Air France ou un hôtel grand luxe qui supposerait de raser tout bonnement la gare pour reconstruire à neuf. Cette dernière piste fait son chemin un temps jusqu’à ce qu’un premier président de la République décide de s’en mêler. En 1973, Georges Pompidou entérine le classement de la gare à l’inventaire des monuments historiques, au grand dam des spéculateurs.

Il n’en fallait pas tant pour redonner du poil de la bête à ce phoenix aussi mythique qu’éternel. On commence alors à réfléchir à la transformer en musée, aussi saugrenu que cela puisse paraître alors : à cette époque, seuls des monuments religieux ou des palais avaient eu l'honneur de cette reconversion. A croire, ou plutôt à constater, que l’architecture ferroviaire a gagné ses lettres de noblesse en un siècle.

Tout s’enchaîne ensuite très vite et les présidents de la République suivants, toutes tendances politiques confondues, vont accompagner le mouvement. Valéry Giscard d’Estaing décide officiellement la construction du musée d’Orsay en 1977 et François Mitterrand en sera un soutien, à la suite de son élection en 1981. Pierre Colboc, Renaud Bardon et Jean-Paul Philippon sont les architectes chargés de donner une deuxième jeunesse à l’édifice, tandis que l’italienne Gae Aulenti se voit confier le soin de définir l’architecture intérieure du monument.

Le 9 décembre 1986, le nouveau musée d’Orsay accueille ses premiers passagers honorant sa promesse de les transporter artistiquement. A la prochaine occasion qui se présentera à vous, ne manquez pas de monter à bord afin que les murs des lieux vous laissent entrevoir, entre deux œuvres majeures, son passé ferroviaire.

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