Il était le train de nuit, une fois

14 et 15 juin 1846 : le premier train de nuit était né et il mit 12h30 pour rallier Paris à Bruxelles

Si vous n’êtes pas un geek des chemins de fer ni un amoureux des liens entre Paris et Bruxelles, la nouvelle vous a peut-être échappé : avant l’été, c’est un anniversaire spécial qui a été célébré à l’occasion des 175 ans de la liaison ferroviaire entre les capitales française et belge. Anecdotique, pensez-vous ? Que nenni ! Une fois n’est pas coutume, remontons le temps pour comprendre combien ce fait historique n’était alors pas aussi banal que l’acte de monter dans un Thalys, à présent.

Le XIXe siècle est la période de l’essor des chemins de fer. Et à cette époque, on ne pose pas des rails, la fleur au marteau : tout est affaire d’un mix associant politique, économie et tentative d’hégémonie sur le territoire européen. Chemin de fer, ton univers impitoyable !

Pour les Français comme pour les Belges, la liaison Paris-Bruxelles ne fait pas exception à cette réalité. La Belgique est alors une toute jeune nation qui, après avoir déclaré son indépendance du Royaume (plus si) uni des Pays-Bas en 1830, la voit enfin reconnue en 1839. Évidemment, rien n’étant jamais acquis, les jeunes dirigeants belges ont à cœur d’ancrer leur nation durablement alors que les voisins bataves, fort marris de la chose, bloquent méticuleusement leur accès à la mer depuis l’Escaut. Qu’à cela ne tienne, les rails seront leur planche de salut.

Ils ne vont donc pas faire les choses à moitié pour désenclaver leur pays, à grand renfort d’argent public sonnant et, il faut le dire, jamais trébuchant pour le coup : en quelques années, une première liaison ferroviaire relie l’Escaut au Rhin, en d’autres termes la Belgique à la Confédération Germanique (l'aïeul de l’Allemagne), passant par Anvers, Maline, et Liège. La France devient ensuite la nouvelle priorité.

La France, justement, n’est pas en reste niveau activisme ferroviaire, ne serait-ce que dans une logique de concurrence avec le berceau des chemins de fer : la Grande-Bretagne. N’oubliez pas, nous sommes alors dans les années 1840 : on est encore loin de l’entente cordiale entre les deux nations et si Waterloo est dans toutes les têtes, ce n’est clairement pas encore parce qu’ABBA a gagné l’Eurovision grâce au titre éponyme.

A la différence des Belges, le développement des chemins de fer en territoire français est autrement plus erratique. Les débats vont bon train (vous l’avez ?) sur les sources des financements nécessaires, tant la France n’est alors pas riche comme Crésus. Certes, et heureusement, elle compte parmi ses citoyens, un riche banquier, James de Rothschild, qui voit une aubaine à se lancer dans l’aventure ferroviaire. C’est son apport, investi dans la création de la Compagnie du chemin de fer du Nord, qui va rendre possible la création du prélude à l’arrivée à Bruxelles, avec la liaison Paris-Lille inaugurée en septembre 1845.

Mais alors pourquoi Paris tient tant à rallier Bruxelles de son côté ? Tout simplement car la Belgique est en plein boom industriel et que le transport de marchandises aurait tout d’une belle opportunité pour une nation française financièrement aux abois. La priorité est donc toute économique, et les trains de voyageurs ne vont pas tarder à prendre la suite des convois de fret.

C’est ainsi que le dimanche 14 juin 1846, trois trains aux couleurs des drapeaux français et belges sont sur le point d’ouvrir un convoi lancé en grande pompe, malgré les polémiques : le choix du jour de la messe pour ce départ est conspué par les plus religieux, tandis que, plus encore regrettable, les ouvriers qui n’ont pas ménagé leur sueur pour construire la ligne, ne sont pas invités. Pas classe.

Il faut dire que dans ce train, il n’y a que du beau linge : côté bleu-blanc-rouge, les fils du dernier roi de France, Louis-Philippe, les ducs de Nemours et de Montpensier ; côté noir-jaune-rouge, Léopold Ier. Histoire de couronner le tout, des fois qu’on manque d’ornements royaux à bord, Hector Berlioz y va de sa composition d’une œuvre, pour marquer le coup et donner le tempo.

Un tempo que les passagers auront le temps de maîtriser, puisque le trajet durera la bagatelle de 12h30. Le train part de Paris pour arriver à Lille, le soir, avant de rallier enfin Bruxelles, le lendemain matin. Le premier train de nuit est né, faute de ne pouvoir aller plus vite, et à l’époque, seules les classes favorisées seront longtemps en capacité de se l’offrir.

Aujourd’hui, les choses ont changé ! Il y a vingt-cinq de ça, le Paris-Bruxelles est entré dans une nouvelle ère avec l’inauguration de sa ligne à grande vitesse, le Thalys. Et ça tombe bien, on vous parle tout de suite de l’un de ceux qui a été l’un des artisans de son succès !

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