Il est venu le temps des gares

Quand les rails façonnaient et fantasmaient Paris

7. Ce chiffre magique émaille bien des contes lus dès notre plus tendre enfance, et ce n’est après tout peut-être pas par hasard qu’il dénombre aussi la quantité de gares à partir desquelles il est possible de quitter ou de gagner Paris en quête d’un horizon dont l’on souhaite qu’il nous apporte le bonheur. Ces sept gares de grandes lignes, ce sont celles sur lesquelles Midnight Trains pourra s’appuyer pour constituer son premier hub ferroviaire : la Gare du Nord, la Gare de l’Est, la Gare de Lyon, la Gare d’Austerlitz, la Gare de Bercy, la Gare Montparnasse et la Gare Saint-Lazare.

Chacune d’entre elles charrie son lot de destinations, chacune aussi avec son langage propre, héritage de son histoire et de son architecture. Elles sont sept et pourtant, elles auraient pu être bien plus nombreuses : cette semaine, nous vous racontons l’histoire de ces gares parisiennes qui n’ont jamais vu le jour ou que vous avez tout simplement oubliées.

Une fois n’est pas coutume, c’est au XIXe siècle, âge de l’essor des chemins de fer que tout commence. Alors que les rails emmènent toujours plus loin, tout l’enjeu est qu’ils le fassent en partant le moins loin possible du cœur des villes, pour faciliter la vie des voyageurs comme pour optimiser la livraison des marchandises convoyées. A Paris, ce n’est pas forcément chose aisée : les espaces manquent pour créer de tels bâtiments et Haussmann n’a pas encore entamé son œuvre de refonte de la Ville-Lumière. Et si les décideurs d’alors décident d’entériner la construction de chemins de fer au départ de Paris en 1832, l’accueil par les citoyens n’est pas forcément celui que l’on pourrait imaginer.

A l’époque, la locomotive fait encore peur : beaucoup voient en elle un monstre de progrès indomptable et l’irruption des gares dans le paysage urbain va être perçue comme une défiguration de Paris, certains allant jusqu’à pointer une américanisation de la capitale française ! D’autant plus qu’en ces temps lointains, la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) est loin d’être une réalité.

L’Etat a en effet délégué la gestion des trains à des compagnies privées et au départ de Paris, elles seront six à se partager la desserte des régions françaises, selon leur géographie : Paris à Orléans (1838), du Nord (1845), de l’Est (1845), du Midi (1852), de l’Ouest (1855) et Paris à Lyon et à la Méditerranée (1857). Evidemment, chacune de ces compagnies veut sa gare, concurrence oblige.

Certains essayent bien de rationaliser l'embolie ferroviaire en la matière. C’est le cas des frères Pereire, entrepreneurs clés au temps du décollage industriel français. Non sans arrière-pensée, les deux hommes d'affaires rêvent à une grande gare unique - qui serait le chemin tout tracé vers un monopole ferroviaire - et projettent de l’installer dans le quartier de la Madeleine. L’emplacement semble idéal tant il est un épicentre d’activités à Paris et, compte tenu du bâti existant alentour, il est alors tranquillement imaginé la construction de viaducs hauts de six mètres pour enjamber la ville. Rien que ça !

Ce projet fou fait pourtant son chemin au point que le roi Louis-Philippe l’autorise en 1837. Cette gare aussi monumentale qu’impactante aurait donc bien pu changer la face de Paris, si les riverains n’avaient pas dit leur rail-le-bol : opposés à ce que les locomotives enfument les habitations en dernier étage, c’est une véritable fronde qui s’organise au point que les frères Pereire jettent l’éponge. Et s’il n’y aura pas de Gare de la Madeleine, cela n’empêchera pas l'avènement non loin de là, quelques années plus tard, de la Gare Saint-Lazare.

Au registre des gares fruits de la folie des grandeurs, la gare du Trocadéro n’est pas en reste. Tout commence en 1878 quand après des décennies de compagnies privées de chemin de fer, naît l’Administration des chemins de fer de l'État. Le temps a passé et les autorités nationales ont dorénavant à cœur de démontrer qu’elles sont capables de faire mieux que ces entreprises. Pour cela, rien de tel qu’un symbole : là-même où se situent aujourd’hui les jardins du Palais du Trocadéro, un projet de gare est envisagé d’où partiraient les trains en direction de la Vendée et des Charentes. Au terme d’un accord commercial, l’ambition étatique sera revue à la baisse et c’est finalement de la gare Montparnasse, gérée par la Compagnie de l’Ouest, que ces trains s’élanceront.

Bien réelle fut pour sa part la gare de la Bastille. Certains d’entre vous se souviennent peut-être que des trains sont partis depuis cette place iconique jusqu’en 1969. Un siècle plus tôt, la création de cette gare, inaugurée en présence de Napoléon III, est l'œuvre de la Compagnie de l’Est. Là où les frères Pereire n’avaient pas connu le succès, elle obtient de construire un viaduc pour faire partir ses trains, celui-là même qui aujourd’hui est devenue la Coulée Verte, cette promenade prisée des Parisiens. Il faudra attendre plusieurs années pour que la gare de la Bastille s’efface de la mémoire collective : en 1984, elle sera détruite pour laisser place à…l’Opéra-Bastille.

Aussi ambitieuses que farfelues soient-elles, ces gares mortes-nées ou disparues sont les fantômes d’une Paris fantasmée et grandie par le train. Leur histoire constitue le témoignage de ce que l’écosystème d’une ville a décidé ou non, de devenir à la lumière du progrès et de l’ouverture au monde rendue possible par les chemins de fer. La semaine prochaine, c’est au Musée d’Orsay que nous vous donnons rendez-vous car avant d’accueillir L’Origine du monde, ce sont les voyageurs qui transitaient par cette cathédrale ferroviaire en bord de Seine.

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