Saison 1 / La voiture volante

Episode 3 / Pourquoi des prototypes de voitures volantes continuent-ils à être créés ?

Après deux épisodes consacrés à la voiture volante, le bilan n’est pas brillant. Faute de demande réelle et de modèles économiques viables, les dizaines de prototypes créés au cours du XXe siècle ont rejoint les rangs des inventions oubliées. Quant aux drones, s’ils sont technologiquement capables de devenir des voitures volantes opérationnelles, ils font face à d’importantes contraintes réglementaires et sociales qui les cantonnent à un rôle d’hélicoptères électriques. Au point que leur seul avenir immédiat dans le transport de personnes consiste à devenir des taxis expérimentaux qui seront testés lors des Jeux Olympiques de Paris 2024. Mais alors pourquoi les constructeurs automobiles et les startups innovantes continuent-ils à concevoir des voitures volantes ? Et pourquoi les médias continuent-ils à les annoncer comme imminentes alors que rien ne va dans ce sens ?

Il suffit en effet d’une simple recherche en ligne pour s’apercevoir que les articles consacrés à ce sujet ne cessent jamais de paraître. Sur les sites spécialisés dans l’automobile ou les technologies de pointe comme dans les grands médias. France 3, Capital, Les Echos, L’Express, France 24 et bien d’autres relaient les prouesses de la voiture volante chinoise XPeng X2, de l’Aircar slovaque propulsée par un moteur BMW ou du JetRacer français, leur autonomie, leur puissance, etc. La palme va indéniablement à BFMTV qui s’est penché en décembre 2022 sur “Ces “voitures volantes” qui cherchent juste leur modèle économique pour décoller”. Même constat à l’étranger où des médias de qualités variables font leurs choux gras sur le sujet. Au milieu de cette masse d’annonces plus mirobolantes, seul CNN semble faire preuve d’un peu de mesure en titrant sur “3 raisons pour lesquelles nous ne verrons pas de voitures volantes prochainement.


Pourtant, si les grands constructeurs continuent à investir dans les prototypes de voitures volantes, ce n’est pas parce qu’ils y croient. “Je perçois ces recherches comme parfaitement anecdotiques, ce sont des exercices prospectifs dans lesquels on place un peu de neurones et un peu d’argent, pour montrer qu’on est présent sur les technologies de rupture. Mais dans le fond, ça excite bien plus les journalistes que les dirigeants de ces entreprises”, explique Bernard Jullien, maître de conférence à l’Université de Bordeaux et spécialiste de l’industrie automobile. Et d’ajouter : “L’industrie automobile est ringarde aux yeux des nouvelles générations et il est toujours bon d’aller montrer ce genre de projets dans les écoles d’ingénieurs pour recruter de nouveaux profils, pour montrer qu’on est capable d’embrasser des problématiques contemporaines, comme on le fait en rachetant des startups innovantes. On a déjà vu ce phénomène sur les questions de covoiturage ou de voiture autonome”.

Même constat pour Laurent Meillaud, journaliste et consultant spécialiste de l’automobile et des mobilités : “Les constructeurs ne veulent simplement pas être absents du secteur, ils regardent donc ce qu’il y a à faire et créent des concepts pour y installer leur présence. Mais malgré les études de cabinets de consulting qui disent que c’est un marché de tant de millions ou de milliards, je reste très sceptique sur ses débouchés réels. C’est de l’image car les groupes automobiles veulent désormais apparaître comme des groupes de tech aux yeux de l’opinion publique”. Il en veut pour exemple le sujet tech le plus brûlant du moment : ChatGPT. D’après une information confirmée par le vice-président de General Motors, Scott Miller, cette intelligence artificielle intégrera bientôt les voitures du constructeur américain, sous la forme de briques technologiques et, possiblement, d’un assistant personnel. Une annonce d’autant plus intéressante qu’elle fait suite à celle d’un constructeur chinois d’intégrer la version locale de ChatGPT dans ses futures voitures. C’est dire si ces effets d’annonce sont profondément ancrés dans la culture du secteur automobile, en Europe, aux Etats-Unis et en Asie.


Vous l’aurez compris, malgré les annonces et les jolis prototypes qui sillonnent les pages de nos journaux et les vidéos Youtube, la voiture volante n’est pas une priorité pour les constructeurs. En réalité, selon tous les experts, les acteurs de l’automobile sont tous concentrés sur le même cheval de bataille : leur capacité à livrer des véhicules électriques le plus vite possible et en quantité suffisante pour faire face à une demande qui pourrait exploser. Car contrairement aux véhicules volants qui sont handicapés par les textes européens, leurs homologues décarbonés seront de plus en plus soutenus par les législateurs nationaux et internationaux. “Pour l’instant, l’avenir de cette technologie reste donc du domaine de l’imaginaire, un imaginaire tiré du passé”, conclut Patrick Gyger, historien et auteur du livre Les voitures volantes : souvenirs d’un futur rêvé.

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