Les deux visages du train Vientiane-Kunming

Du rêve à la dette

On quitte désormais la Thaïlande pour rejoindre l’un de ses voisins : Le Laos, qui a récemment connu un bouleversement ferroviaire. Et pour cause, jusqu’en 2021, ce petit pays montagneux et enclavé de 7,3 millions d’habitants n’avait pas de véritable réseau ferroviaire. Ceux qui ont eu la chance de le visiter le savent, le traverser impliquait alors de très longs et très fastidieux trajets en voiture ou en bus sur des routes aussi sinueuses qu’étroites. Plus problématique encore, comme l’expliquait l’économiste laotien Souknilanh Keola en décembre 2021, la seule véritable route commerciale du pays vers son tout-puissant voisin chinois et vers le Japon passait par des ports thaïlandais. Mais depuis que le Laos a été inclus dans les Nouvelles Routes de la Soie chinoises, les choses ont changé. Pour le pire comme le meilleur.

En décembre 2021, le Laos a en effet inauguré une ligne reliant Vientiane, sa capitale, à la ville de Kunming, capitale de la province chinoise du Yunnan. Longue de 1 035 kilomètres, celle-ci passe sur 167 ponts et dans 75 tunnels construits pour l’occasion dans un paysage verdoyant, luxuriant, fait de montagnes et de collines. Un projet titanesque donc qui a coûté la modique somme de 6 milliards de dollars, soit environ 5,3 milliards d’euros. Avec un PIB annuel estimé par la Banque Mondiale à 18,83 milliards de dollars en 2021, ce n’est pas anodin. 

Heureusement pour les finances laotiennes, il n’a pas été nécessaire de payer rubis sur l’ongle. Les premiers 60% de cette somme colossale ont été financés grâce à un prêt de la Banque d’Exportation et d’Importation de Chine (Exim Bank of China). Le reste est assumé par une coentreprise appelée Laos-China Railway Company, dont seuls 30% sont contrôlés par Vientiane tandis que le reste est détenu par des entreprises d’Etat de l’Empire du Milieu. Pourtant le Laos n’a concrètement déboursé que 250 millions de dollars puisqu’il a contracté un second prêt de l’Exim Bank pour l’autre partie de la somme. Des chiffres extrêmement importants car, selon l’agence de notation Fitch Ratings, ces prêts coûtent environ 1,16 milliard de dollars par an au pays du million d’éléphants, dont la dette extérieure a grimpé à 66% de son PIB 2021.

Reste que cette ligne de chemin de fer est bien là et qu'elle est loin d’être inutile. Avec ses trains “semi Grande Vitesse” roulant à 160 kilomètres par heure et desservant quarante-cinq gares, dont vingt offrant un service pour les passagers, elle a transformé la mobilité interne des populations. Comme l’a documenté CNN Travel, ce train raccourcit tellement les trajets qu’il permet désormais à certaines personnes de voir leurs familles bien plus souvent qu’auparavant, ce qui encourage un certain dynamisme économique, social et culturel. C’est notamment vrai pour les étudiants qui avaient parfois tendance à restreindre leurs séjours chez leurs parents tant le voyage était pénible. Un succès qui se traduit dans les chiffres puisque, selon Le Courrier du Vietnam, cette ligne sino-laotienne aurait transporté 8,5 millions de personnes entre son ouverture et le mois de décembre 2022, un an plus tard. Au minimum, ce train joue donc son rôle de connexion entre les gens.

Du côté du business, les chiffres aussi semblent intéressants. Sur la même période, 11,2 millions de tonnes de marchandises ont été transportées. Toujours selon la même source, le montant total des marchandises “importées et exportées contrôlées et libérées par les douanes de Kunming” se chiffre 1,93 million de tonnes. Ce qui représente un montant d’environ 13,29 milliards de yuans, soit environ 1,88 milliard de dollars américains. Une manne financière non négligeable dont seul le futur dira si elle est à la hauteur de l’investissement qu’elle a demandé pour devenir réelle.

Bien évidemment, dans un pays dont 80% de la population vit de l’agriculture, la construction de cette ligne n’a pas été sans conséquence. Le Mouvement laotien pour les droits humains estime ainsi que 4 400 agriculteurs et villageois ont dû céder tout ou partie de leurs terres pour que le projet devienne réalité. Sauf qu’ils l’ont fait pour des montants financiers jugés insuffisants et que la plupart d’entre eux ont dû attendre très longtemps avant d’être indemnisés. Un paradoxe évident quand on sait que le Laos exporte notamment des milliers de tonnes de fruits vers les pays voisins, notamment des bananes.

Le Laos n’est d’ailleurs pas le seul pays à se retrouver dans une telle situation. Comme l’explique le journal français Le Monde, les deux tiers des pays concernés par les prêts chinois pour des projets comparables sont désormais surendettés et particulièrement fragilisés par un dollar fort et une guerre en Ukraine économiquement déstabilisante. La Chine se retrouve quant à elle dans une position de créancier bien plus enviable puisque, comme l’indique un chercheur du centre AidData au journal français : “On est passé d’un moment où l’argent partait de Pékin pour arriver dans les pays pauvres à un moment où l’argent doit quitter ces pays pour rembourser la Chine.” Une démonstration par les faits et par les chiffres que certains tronçons de ces Nouvelles Routes de la Soie ferroviaires sont à double tranchant.

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