Le Train Maya met le feu au Mexique

Du projet social à la menace écologique

Après vous avoir parlé de “La Bestia”, le train de la mort emprunté par les migrants sud-américains à travers le Mexique, Midnight Weekly retourne dans ce pays d’Amérique centrale pour vous parler d’un tout autre chemin de fer : le Train Maya. Un joli nom pour un projet de voie ferrée longue de 1554 kilomètres visant à relier les plus grands lieux touristiques de cinq États mexicains, parmi lesquels se trouvent les plus importants sites de la civilisation disparue des Maya. Ce qui explique son nom, et le scandale qu’il provoque.

Lancé en 2018 par le président Andrés Manuel López Obrador, le Tren Maya se compose de sept tronçons : 228 kilomètres entre Palenque et Escárcega, 235 kilomètres d'Escárcega à Calkiní, 172 kilomètres entre Calkiní à Izamal 257 kilomètres d'Izamal à Cancún, 121 kilomètres de Cancún à Tulum, 254 kilomètres de Tulum à Bacalar et enfin 287 kilomètres entre Bacalar à Escárcega. Un projet ferroviaire pharaonique qui devrait coûter au moins 10 milliards de dollars et dont la construction des rails a été confiée à différentes entreprises locales. 60% du parcours utilisera d’anciennes lignes restaurées pour l’occasion tandis que le reste sera construit ad hoc. Les trains, initialement électriques mais roulant finalement au diesel, seront quant à eux conçus, construits, livrés, testés et mis en service par un consortium Bombardier-Alstom.

A en croire le gouvernement mexicain, ce projet pharaonique n’a que des avantages. En ralliant ainsi les hauts lieux du tourisme de différentes zones du pays, il a été présenté comme devant créer au moins 500 000 emplois et booster l’économie des régions traversées. Une manne financière qui se déverserait, au moins en partie, sur des populations qui ne profitent habituellement pas de l’argent dépensé par les 43 millions de touristes qui visitent le Mexique chaque année. Bref, un projet qui tient à la fois du social et du soutien à l’économie locale. Seul problème, le parcours de Train Maya traverse des centaines de kilomètres de jungle, de biodiversité endémique et de vestiges archéologiques uniques au monde. Ce qui ne plaît pas à tout le monde, loin de là. A commencer par le Congrès National Indigène et l’Armée Zapatiste de Libération Nationale qui, lors de la célébration des vingt-six ans de son soulèvement armé, a annoncé son opposition au projet.

Dès l’annonce de celui-ci, de nombreuses ONG sont en effet montées au créneau. Celles qui se consacrent à la protection de la forêt ont ainsi alerté sur le fait que le tracé du Train Maya allait couper le couloir biologique permettant, notamment, aux jaguars de se reproduire. Mais ce n’est pas tout. D’après le Jaguar Wildlife Center, sous les futurs rails se trouvent aussi un réseau de cavités souterraines abritant l’unique source d’eau douce du Quintana Roo, où la faune sylvestre se désaltère lors de la période sèche. Sans parler des milliers d’arbres qui ont déjà été ou devront être abattus pour faire passer ce tortillard. Des polémiques que le président Andrés Manuel López Obrador a tenté de désamorcer en promettant de replanter des arbres, de créer des corridors biologiques pour la faune et bien d’autres choses encore. En vain.

Du côté de la préservation archéologique, le tableau n’est pas beaucoup plus brillant. Le chef d’Etat a eu beau annoncer que tous les vestiges seraient collectés et protégés, les spécialistes crient au massacre. Selon eux, ils doivent être étudiés sur place afin d’être contextualisés et de livrer tous leurs secrets sur la civilisation Maya. Or, en janvier 2021, plus de 8000 objets archéologiques avaient déjà été trouvés par les équipes de travailleurs qui défrichent la forêt et installent les rails.

Car malgré ces nombreuses oppositions, la construction du Train Maya a bien commencé. Au total, la construction de quatre des sept tronçons a été lancée tandis que celle du cinquième a été brutalement arrêtée le 30 mai 2022. Un juge a en effet estimé que, en l’absence d’une véritable étude d’impact environnemental, le principe de précaution prévalait. Une grande victoire pour les opposants et un véritable coup dur pour le président Andrés Manuel López Obrador. Et pour cause, en 2021, ce dernier a fait passer un décret classant le Train Maya au rang de projet de “sécurité nationale”. Ce dernier ne rend d’ailleurs pas les armes puisqu’il a assuré que cette ligne ferroviaire verrait le jour “coûte que coûte” à horizon fin 2023. A noter d’ailleurs qu’il ne devait initialement être livré qu’à la fin de la décennie mais qu’il a été accéléré pour être prêt avant la fin du mandat présidentiel en cours.

Enfin, un dernier scandale pèse sur la légitimité du Train Maya. Une consultation citoyenne a en effet été organisée auprès de la population concernée pour lui demander son avis sur le projet. Or, si celle-ci s’est prononcé en faveur du train à 92%, le référendum a été lourdement critiqué par les Nations Unies qui ont considéré qu’il ne répondait pas aux normes internationales. Faute d’être capables de se déplacer jusqu’aux bureaux de vote, moins de 3% des gens ont donné leur avis. Enfin, le gouvernement est accusé de n’avoir envoyé que de la documentation positive aux votants potentiels. A n’en pas douter, l’incendie qu’à déclenché le Train Maya n’est donc pas prêt d’être éteint. Il nous rappelle surtout que le ferroviaire ne rime avec l’écologie que s’il est porté par une volonté politique allant dans ce sens. 

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