La tour Eiffel, fille des trains

Aux origines de la  de Fer

18 038 pièces de métal, 2 500 000 rivets, 10 100 tonnes et 330 mètres de haut antenne comprise, les caractéristiques titanesques de la Tour Eiffel sont à la hauteur de son incroyable popularité à travers le monde. Née en 1889 à l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris grâce au génie de l’ingénieur qui lui a donné son nom, la Dame de Fer ne devait initialement habiter le ciel de la capitale française que pour vingt ans. Ce que l’on sait moins, c’est que la prouesse technique qu’elle représente est profondément liée à l’industrie ferroviaire et à son développement.

Pour comprendre la façon dont la Tour Eiffel est liée aux trains, il faut se replacer dans le contexte de l’époque. Nous sommes à la fin du XIXe siècle, en plein cœur de la Révolution industrielle française, durant laquelle le fer connaît son apogée. C’est particulièrement vrai dans la construction d'ouvrages comme les viaducs où le métal remplace progressivement la maçonnerie. Avant l’arrivée de Gustave Eiffel, les ingénieurs peinent pourtant à parachever cette transition des matériaux en ce qui concerne les piliers. Ceux-ci restent maçonnés tandis qu’une structure métallique est “poussée” dessus. Une méthode utile mais limitée puisqu’elle ne permet pas réellement de traverser de larges estuaires et rend dangereuse la navigation des bâteaux passant en-dessous. 

C’est là que le génie de Gustave Eiffel entre en jeu. Pour faire face à ce défi, l’homme propose de combiner la méthode des poutres métalliques droites, d’ores et déjà utilisée pour d’autres ouvrages, avec celle d’un immense arc métallique remplaçant les piliers. Cette innovante technique est saluée en 1875 lorsqu’il remporte le concours pour la construction du pont ferroviaire au-dessus du fleuve Douro au Portugal. De là naîtra une structure qui passe à 61 mètres au-dessus du cours d’eau grâce à un arc de 160 mètres à la corde et de 42,5 mètres à la flèche.

En 1880, Eiffel fait partie de l’équipe de l’ingénieur Léon Boyer qui lui confie la réalisation et la finalisation du Viaduc de Garabit, dans le département du Cantal. Un ouvrage de 565 mètres de long passant à 122 mètres au-dessus de la rivière qui est à l’époque, le plus haut pont de ce type au monde. La gloire auréole encore une fois Gustave Eiffel et la technique de l’arc métallique s’inscrit toujours un peu plus dans le paysage ferroviaire. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas l’ingénieur de continuer à construire des ponts avec de la maçonnerie, comme le viaduc des Tardes, en 1885. 

Mais un an plus tard, Eiffel délaisse quelque peu les ponts pour se concentrer sur le concours lancé le 1er mai 1886 par le ministre du Commerce, Édouard Lockroy, pour la construction d’une tour métallique sur le Champs de Mars. Finalement retenu, il se lance donc à corps perdu dans ce chantier avec l’aide des ingénieurs de son entreprise Maurice Koechlin et Emile Nouguier ainsi que de l’architecte Stephen Sauvestre. Une équipe qui, après des premiers plans très différents, incluant notamment un sommet en forme de bulle et de nombreux ornements, tranche pour un projet simplifié. Le 1er juillet 1887 commence donc un chantier aux dimensions hallucinantes.

Au total, ce sont entre 150 et 300 ouvriers, presque tous des anciens des chantiers des viaducs, qui travaillent simultanément à cette construction capitale. Les pièces, elles, sont dessinées et usinées au millimètre près dans les locaux de l’entreprise Eiffel à Levallois-Perret. Elles sont ensuite assemblées par éléments d’environ cinq mètres avant d’être amenées sur le chantier lui-même. C’est là que certains rivets provisoires sont remplacés par d’autres qui sont posés à chaud et dont le refroidissement garantit le serrage des différentes parties entre elles. Au total, il fallait quatre hommes travaillant main dans la main pour fixer l’un d’entre eux.

Plus étonnant encore, certains ouvriers ont travaillé sous le niveau de la Seine pour mettre en place les fondations en béton enfoncées dans le sol. Pour cela, ils utilisaient des caissons métalliques étanches dans lesquels étaient envoyé de l’air comprimé. A noter que si chacun des quatre pylônes a son propre bloc, ils sont tous reliés entre eux par des murs. A l’inverse, pour prendre de la hauteur, les ouvriers utilisent des échafaudages en bois ainsi que des grues à vapeur qui font monter les pièces. Deux ans, deux mois et cinq jours après le premier coup de marteau, la Tour Eiffel est entièrement sortie de terre. Désormais dotée de ce joyau solidement planté sur ses gigantesques arcs métalliques issus des technologies ferroviaires, la France peut ouvrir son Exposition Universelle avec fierté et sérénité.

Enfin, il faut savoir que les liens avec la Tour Eiffel ne se limitent pas à une question technique. Et pour cause, sa construction a aussi été à l’origine de la création d’une ligne de chemin de fer pour qu’il soit plus facile de s’y rendre. Très utilisée du temps de l’Exposition Universelle, elle perd en popularité au cours des décennies suivantes avant d’être finalement oubliée de la plupart des Parisiens. Ce n’est qu’avec l’arrivée du RER C dans les années 1980 qu’elle reprendra un peu vie en y étant partiellement intégrée. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Sauf la Tour Eiffel, imperturbable et éternelle.

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