La légende du Hollandais roulant

Canfranc, deux minutes d'ârret fantôme

Nous avions très envie de marquer l’arrêt dans les Pyrénées, non loin de la frontière franco-espagnole. Plus précisément à la gare internationale de Canfranc que d’aucuns pourraient qualifier de Hollandais volant des chemins de fer. Aussi majestueuse que fantôme, assurément étrange, cette gare a de quoi attiser la curiosité de qui en croise la route.

Il faut dire que son architecture ne permet pas de la rater. C’est en effet une sorte de réplique à mi-chemin entre le Musée d’Orsay (qui fut une gare en son temps) et la gare Saint-Lazare, qui nous fait face. Installée tranquillement à plus de 1.000 mètres d’altitude, la maudite bâtisse a pris ses aises sur pas moins de 140 mètres, achalandée de 365 fenêtres et 156 portes, faisant d’elle la deuxième plus grande gare d’Europe. A croire qu’elle se serait un jour apprêtée à devenir l’épicentre incontournable du vieux continent.

Tout commence au XIXe siècle, ce siècle d’or des chemins de fer. Pour relier la France et l’Espagne, il est possible de passer la frontière en contournant les Pyrénées à l’ouest (Hendaye-Irún) ou à l’est (Cerbère-Portbou). Et pourquoi pas les traverser tout bonnement, se demande-t-on alors en haut lieu ? Le projet de la gare de Canfranc est sur les rails et il faudra attendre 1928 pour que son inauguration en grande pompe y laisse découvrir une myriade de services sur place : hôtel grand luxe, bureau de changes, poste frontière, buffet de gare qui va bien, et même bibliothèque. Jusque là, tout va bien.

Mais voilà, les résultats ne suivent pas. Au plus fort de son activité, seuls 50 voyageurs transiteront par ce palace égaré au milieu de nulle part. En cause : il faut une journée de trajet pour parcourir les 310 km entre Pau et Saragosse, et même si la visite intermédiaire de ce joyau architectural vaut le détour, beaucoup considèrent qu’ils ont mieux à faire. Et puis, c’est l’avalanche des hics sur la station des Pyrénées : un incendie s’y déclare en 1931 quand la guerre civile espagnole complique à son tour les choses en 1936.

La Seconde Guerre mondiale éclate ensuite et si les fantômes de la gare de Canfranc consentaient à témoigner, ils auraient beaucoup à nous dire. La gare voit en effet transiter sous ses yeux l’or que les nazis dérobent et envoient chez leurs partenaires et complices franquistes, en échange de minerais de fer et de tungstène. La gare devient aussi le théâtre de la fuite de la France collaborationniste pour de nombreux Juifs et opposants, grâce à l’action courageuse du chef des douanes de Canfranc, Albert Le Lay.

Dans la deuxième moitié du siècle dernier, les temps revenant à la normale ne seront pas pour autant synonyme de seconde chance pour cette gare décidément victime de malédiction. La SNCF relance une liaison depuis Pau, mais les avaries se succèdent jusqu’à un tragique déraillement de train qui décidera l’opérateur national français à mettre un terme à tout semblant d’activité. Et la belle ferroviaire d’entrer dans un profond et long sommeil.

Les années passent et se ressemblent ensuite : quand les trains ne sont pas là, les herbes folles dansent. Plusieurs liftings tenteront de sortir de son coma, l’ancienne infante prodige des chemins de fer. Sans plus de succès que ça, jusqu’à ce que la municipalité de Canfranc, bien déterminée à ne pas l’abandonner à son sort, prenne les choses en main. Les trains ne veulent pas y venir, qu’elle devienne donc un hôtel (avec vue) sur rails !

Ce projet fou sur le papier, n’en est pas moins en train de devenir une réalité. Le 28 juillet dernier, la première pierre de ce qui sera un établissement cinq étoiles était posée, ressuscitant cette belle dame, sur laquelle le temps n’aura pas réussi à avoir d’emprise, en fin de compte. En attendant que les trains la desservent enfin ?

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