La France vote 3 Md€ pour le ferroviaire, puis les supprime

Lutte sur rail à l’Assemblée

Depuis les élections législatives françaises de 2022, la France fait face à une drôle de situation. Bien que réélu face à Marine Le Pen, le président Emmanuel Macron n’a pas la majorité à l’Assemblée nationale, la chambre basse de la République française. Si elles s’unissent, les principales forces d’opposition, que sont le Parti socialiste (gauche), la France Insoumise (gauche radicale), les Écologistes, Les Républicains (droite) et le Rassemblement national (extrême-droite), peuvent faire passer des textes. C’est ce qu’elles ont fait en votant, notamment, un amendement attribuant 3 milliards d’euros au secteur ferroviaire au cours de l’examen du budget 2023, contre l’avis de l'exécutif. A l’initiative de Gérard Leseul, député socialiste de la 5e circonscription de la Seine-Maritime, ce texte se base sur les chiffres du Réseau Action Climat, de la Coalition 4F et du Collectif “Oui au train de nuit” pour attribuer 1,5 milliards d’euros à la relance du fret ferroviaire, 0,5 milliard d’euros à la régénération du réseau structurant, 0,7 milliard d’euros à la régénération des petites lignes, 0,2 milliard d’euros à la résorption des nœuds ferroviaires et 0,150 milliard d’euros au développement du train de nuit.

“Nous avons malheureusement un réseau et des infrastructures vieillissants et il convient de mettre les bouchées doubles, triples voire décuples si l’on veut atteindre un usage aussi vertueux du ferroviaire que nécessaire”, nous a expliqué Gérard Leseul au cours d’un entretien. Il précise d’ailleurs que son amendement n’allait pas à l’encontre de l’action du gouvernement sur le sujet mais avait pour but de la renforcer. “Nous devons rester dans un objectif de renforcement de l’ambition pour le ferroviaire. Nous avons des équipements qui ont environ 27 ans d’âge de moyenne contre environ 17 ans pour les Allemands et encore un peu moins pour les Suisses. Si on veut dynamiser les choses, il faut donc rénover une partie du réseau, rouvrir des lignes de nuit, cesser le tout-TGV et redonner du sens au réseau capillaire secondaire, encourager le fret pour décarboner une partie de la circulation des produits”, analyse encore l’élu. Et d’ajouter, comme une suggestion : “Si on regarde du côté de nos voisins allemands, il est intéressant de voir qu’ils ont réussi à avoir un réseau ferré mieux entretenu que le nôtre en taxant le secteur routier.”

Vous le savez, chez Midnight Trains, on ne fait pas de politique. Notre seul militantisme est celui qui soutient un monde plus décarboné et plus intelligent centré sur l’industrie du rail. Or, cette joute entre majorité et opposition en dit long sur la place du secteur dans la vie politique française. Lancé par le groupe Socialistes et ses apparentés, cet amendement n’a donc pas été du goût du gouvernement et de la majorité présidentielle. Ainsi, Christophe Béchu, a reproché aux députés d’opposition d’avoir soutenu cette initiative “sans partir du besoin des territoires” qui, nous en avons déjà parlé ici, est profond. Quant à Clément Beaune, le ministre des Transports, il a tourné le vote en ridicule : “C'est magique, c'est gratuit, c'est Halloween, c'est le contribuable qui paye”. Avant de défendre la “priorité ferroviaire” de son gouvernement et d’évoquer le soutien de celui-ci aux trains de nuit et au fret.

De leur côté, les socialistes ont défendu leur amendement en évoquant l’investissement de 100 milliards d’euros sur 15 ans réclamé par Jean-Pierre Farandou, le patron de la SNCF, et relayé par 15 dirigeants de régions françaises. Ces derniers demandaient à ce que cette somme soit répartie sur 10 ans, à hauteur de 10 milliards d’euros par an, pour mettre en place un New Deal ferroviaire. A travers celui-ci, les hommes et les femmes dirigeant les régions souhaitent aussi que la France conserve son avance en matière de rails. Et pour cause, la Belgique, l’Italie et l’Allemagne ont d’ores et déjà prévu de faire des investissements massifs dans leurs propres secteurs ferroviaires. Ce qui, dans un marché ouvert, n’est pas sans effet au niveau européen.

Mais dans le fond, le vote de cet amendement de 3 milliards d’euros n’a pas d’importance concrète. Elisabeth Borne, la Première ministre française, a en effet annoncé quelques jours plus tard qu’elle allait utiliser l’article 49-3, qui permet de faire passer un texte sans le soumettre au vote des députés, pour cette partie du budget 2023. Après l’avoir déjà utilisé à trois reprises depuis la présentation du projet de loi de finances de la même année. Bien que constitutionnelle, cette façon de faire a suscité la colère d’une bonne partie de l’opposition et de certains citoyens français. Cela a toutefois permis à l’exécutif de faire l’impasse sur ce nouveau soutien au ferroviaire mais aussi sur celui de 12 milliards d’euros à la rénovation thermique. Ce qui, quelques jours avant l’ouverture de la COP 27 (qui s’est ouverte depuis), a valu de vertes critiques au pouvoir en place. 

Nous l’avons déjà dit et nous le répétons, cet article n’a nullement vocation à prendre parti ou à positionner cette newsletter dans un camp ou dans un autre. De manière générale, nous encourageons le développement d’un rail toujours plus moderne, plus écologique, plus respectueux et plus inclusif géographiquement et humainement. Bien évidemment, cela ne peut devenir réalité qu’avec de très importants investissements, du temps et une volonté dépassant de très loin la temporalité du jeu politique. Espérons toutefois que celui-ci serve ce projet et que, majorité comme opposition, prennent le développement du ferroviaire aussi sérieusement qu’il le mérite. Sans quoi, elles finiront irrémédiablement par le transformer en un enjeu purement politicien, au risque de le paralyser plutôt que de l’aider. Or, comme nous l’avons vu la semaine dernière, il ne s’agit pas d’un débat d’idées mais d’une nécessité absolue et transpartisane.

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