Et le train s’élança de l’autre côté des Alpes !

Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer le rail (en Italie) ?


En 2024, nous vous accueillerons à bord de nos premiers hôtels sur rails et depuis Paris, c’est vers le sud de l’Europe que nous vous ferons d’abord voyager : l’Italie et l’Espagne sont les deux pays que nous prenons plaisir à regarder de près. Après vous avoir raconté comment l’Espagne a décidé de ne rien faire comme tout le monde lorsqu’elle se mit sur les rails, ce sont les débuts de l’aventure ferroviaire italienne que nous vous faisons découvrir, cette semaine. 

C’est dans les années 1830 que les têtes couronnées des différentes contrées de la péninsule italique commencent à s’intéresser aux progrès rendus possibles par les chemins de fer. A l’époque, l’Italie telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’existe pas : Garibaldi, Cavour et autres Verdi ne sont pas encore passés par là et l’unité italienne ne prendra réellement forme qu’en 1861. 

En ces temps donc, la botte italienne n’est que pure observation géographique tant les royaumes de ce territoire se multiplient aussi vite qu’ils se divisent, à grand renfort d’alliances opportunes ou de guerres épidermiques. Chacun voit mezzogiorno à sa porte et c’est dans ce contexte qu’un roi à peine âgé de 20 ans monte sur le trône du Royaume des Deux-Siciles, dont le territoire considérable s’étend sur les régions actuelles des Abruzzes, de Basilicate, de Calabre, de Campanie, de Molise, des Pouilles et de Sicile, ainsi que sur une partie importante du Latium. Oui, Ferdinand II - c’est le nom de sa très jeune majesté - n’est pas à la tête d’une petite nation et il va avoir maille à partir pour la consolider aussi politiquement qu’économiquement. 

Sans perdre de temps, le souverain décide donc d’enclencher l’industrialisation de son royaume et en plein XIXe siècle, rien de tel que de se laisser porter par les lendemains qui chantent de l’essor du ferroviaire en la matière. En juin 1836, il frappe un grand coup en autorisant la construction du premier chemin de fer de la péninsule italienne : concession est en effet donnée au Français Armand Bayard de La Vingtrie et à sa société d’exploitation pour opérer la jonction entre les villes de Naples et de Nocera Inferiore. Le premier train transalpin flirtera avec les rives méditerranéennes sur près de 36 km, le long de cette baie volcanique. 

Si la liaison est kilométriquement raisonnable, elle n’en est pas moins une expression solide et une vitrine magistrale de l’ambition industrielle de Ferdinand II. Le roi des Deux-Siciles a bien compris un aspect essentiel du développement du secteur ferroviaire : ses co-bénéfices sont autant d’opportunités économiques pour son territoire qui en a grand besoin. 

Avec la perspective de ce premier chemin de fer, c’est toute une industrie qui va venir irriguer son royaume : au-delà de la construction des voies ferrées, une usine de construction de locomotives voit bientôt le jour à Pietrarsa, en Campanie, tandis que l’industrie sidérurgique, assurant la matière première des chemins de fer, prend ses quartiers en Calabre. Des développements qui, au passage, vont le rendre populaire auprès de son peuple, qui trouve là de nouvelles opportunités pour gagner sa vie. 

Le 3 octobre 1839, c’est le grand jour. Ou presque. L’inauguration de la ligne a en effet lieu, alors que celle-ci est loin d’être achevée : la gare de Naples n’a pas encore fini d’être construite et les rails posés jusque là permettent à peine de relier Naples à Portici, sur une voie double de plus de 7 km. Mais voilà, Portici n’est pas n’importe quelle ville : c’est là que se trouve le palais royal et l’auguste desserte va donc servir de prétexte impérieux pour que s’élance le premier train de l’histoire italienne, fissa fissa. 

Ce jour-là, tout ce qui compte de famille royale et de notables sont prêts à embarquer, et les tableaux du peintre Salvatore Fergola immortalisant ce moment, témoignent du succès populaire de l’opération. Si la locomotive et les neuf voitures assurent le trajet initiaque sans la moindre encombre, c’est aussi et surtout l’occasion pour Ferdinand II de dévoiler la suite de ses ambitions, dans son discours inaugural : 

"Ce chemin de fer sera sans aucun doute bénéfique pour le commerce, et considérant combien cette nouvelle route doit être utile à mon peuple, je suis d'autant plus heureux qu'une fois les travaux achevés jusqu'à Nocera et Castellammare, je les verrai bientôt se poursuivre à travers Avellino jusqu'au rivage de la mer Adriatique".

Le roi voit déjà plus loin, plus grand, et il n’a pas tort, comme le démontrera l’engouement rencontré par la courte liaison mise en service à ce stade : en un peu plus d’un mois, 85.759 passagers prennent place à bord des premiers trains de la botte italienne. Le succès est aussi international : le tsar, qui ne veut pas être en reste à l’heure du boom ferroviaire, décide bientôt de faire le déplacement jusqu’à Naples, avec pour objectif de s’inspirer des infrastructures industrielles récemment créées. Bientôt, ce sera le royaume de Piémont-Sardaigne, lui aussi désireux de se mettre sur les rails, qui commandera plusieurs locomotives au royaume des Deux-Siciles. Tous ces souverains transalpins ne le savent pas encore : quand leurs couronnes ne seront plus, le rail sera un allié de plus pour consolider la jeune unité italienne.

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