Saison 7 - Le train à l’hydrogène

Épisode 2 - Est-il vraiment en train d’être abandonné ?

Avez-vous déjà acheté un produit qui vous a déçu ? Vous savez, ce genre de gadgets qu’on voit passer dans une publicité ciblée sur Instagram et qui, à la seconde où nos yeux se posent dessus, nous apparaît comme la solution à tous nos problèmes. Pour certains, il s’agit d’un sac à dos bardé de rangements ultra pratiques pour organiser ses affaires en voyage. Pour d’autres, c’est un gant permettant de brosser son chat sans se faire labourer les mains à coups de griffes. Pour d’autres encore, ce produit parfait prend la forme d’un kit de nettoyage d’ordinateur capable d’aller chercher jusqu’au plus petit grain de poussière. Pour l'État allemand de Basse-Saxe, cette déception n’est autre que le train à hydrogène.


Petit retour en arrière. Nous sommes en 2012 et, à l’époque déjà, certaines compagnies ferroviaires publiques ou parapubliques essaient de supprimer ce qu’il reste de trains fonctionnant au diésel dans leurs flottes. Bien évidemment, face à cette demande, certains constructeurs brandissent immédiatement leurs tortillards à hydrogène alors que — surtout à ce moment-là — la filière de production et de distribution d’hydrogène est quasi inexistante. Séduite par les promesses d’un futur complètement décarboné, la LNGV, la compagnie ferroviaire de la Basse-Saxe, se laisse séduire et commande quatorze trains fonctionnant grâce à des piles à combustible hydrogène. Un choix qui apparaît alors à beaucoup de gens comme ambitieux et novateur, et fait le tour de la presse spécialisée et généraliste. Quelques années plus tard, en 2018, les fameux attelages sont testés sur certaines sections de voies ferrées, puis, à l’été 2022, ils entrent officiellement en circulation. Mais comme nous l’a appris le magazine anglophone Quartz le 7 août 2023, le gouvernement de Basse-Saxe veut d’ores et déjà abandonner ses jolis trains flambant neufs. Au profit d’autres, électriques.

En cause, le nerf de la guerre. Les autorités de l’Etat estiment ainsi qu’opérer ces trains est trop onéreux. Y compris sur le long terme, pourtant souvent présenté comme l’échéance relativement vague à laquelle le train à hydrogène deviendrait rentable. Sauf qu’en 2022, une étude commandée par le Lander de Bade-Wurtemberg indique que 80% des trains à hydrogène seront plus coûteux que leurs homologues électriques sur ce fameux long terme. Bref, économistes et logisticiens sont, comme souvent, en désaccord les uns avec les autres et chacun en tirera ses propres conclusions. Ce qui est certain, c’est que celle des pionniers du train à hydrogène commercial est d’y renoncer, après que la LNGV a dépensé 93 millions d’euros dans le projet. Ce n’est pas anodin.


Et pour cause, le train à hydrogène est loin d’être exempt de tout reproche, surtout une fois qu’il est concrètement utilisé. Tout d’abord, nous l’avons déjà vu, à ce jour 95% de l’hydrogène produit dans le monde n’est pas écologique et durable. Ensuite, même lorsqu’il le sera, il faudra que nous soyons capables de l’acheminer et de le stocker là où les trains en auront besoin. Ce qui implique le développement de nouvelles infrastructures qui sont loin d’être gratuites. Un exemple ? Plus de la moitié du budget de la LNGV a été dépensé pour la première station de ravitaillement en hydrogène d’Allemagne, et du monde.


Pour autant, nous l’avons déjà évoqué précédemment, de nombreux autres projets sont en cours de développement un peu partout dans le monde. Au mois de juin 2023, Alstom a même organisé une grande démonstration des capacités de son Coradia iLint (celui qui est mis au rebut par les Allemands) au Canada. Occasion au cours de laquelle le président de la branche Amériques de l’entreprise a déclaré : “La technologie hydrogène offre une alternative au diésel et démontre notre capacité à fournir des solutions de mobilité plus durables à nos clients, agences et opérateurs, ainsi qu'aux passagers.” Bien évidemment, si autant de projets ont vu ou vont voir le jour, ce n’est pas un hasard. Les gouvernants du monde entier ne sont pas (tous) des gogos à qui on vend un gadget inutile comme on le fait à un consommateur un peu déprimé qui scrolle sur Instagram. S’ils adhèrent au train à hydrogène, c’est parce qu’ils croient sincèrement à l’intérêt de celui-ci s’il est passé à l’échelle. Soit que si la technologie se déploie suffisamment et dans suffisamment d’endroits, elle deviendra abordable financièrement, voire rentable. Et écologique bien sûr, puisque les experts estiment que l’hydrogène vert sera accessible en grande quantité à horizon 2035.


Conclusion, ce premier échec du train à hydrogène ne signe pas sa mort définitive. Il souligne simplement le fait que même lorsqu’une promesse est belle, elle ne doit pas être embrassée sans réfléchir ni être prise pour argent comptant. En matière de transport et de durabilité, si quelque chose est facile et rapide, c’est qu’il y a un loup. Changer la face du monde de la mobilité est une affaire de temps, de patience et de réflexion. Car aucun gadget ne règle tous vos problèmes, qu’il s’agisse de votre empreinte carbone ou du brossage de votre chat.

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