Sous les rails, le bunker

Un espace oublié par le temps en plein Paris

Aussi fou ou inapproprié que cela puisse paraître après ces deux années où de confinement en confinement, une cloche s’est apposée sur nos vies, Midnight Weekly prend le risque cette fois de vous emmener dans un espace conçu pour s’isoler du monde, en plein coeur de Paris. Amis claustrophobes, n’ayez crainte pour autant ! Ce vestige historique ne saurait vous emprisonner à votre désarroi, plutôt est-il un témoignage précieux car le temps semble avoir oublié de lui infliger le moindre de ses effets, au point qu’il nous livre intacte la réalité d’une époque que l’on souhaite révolue à jamais.

Peut-être avez-vous eu par le passé l’occasion de prendre le train à la gare de l’Est, à Paris? Si d’aventure votre convoi démarrait depuis le quai assurant la jonction entre les voies 3 et 4, vous et vos valises auraient cherché leur voiture en marchant sans le savoir, au-dessus d’un bunker bâti il y a plus de quatre-vingt ans. Drôle d’idée que d’installer un abri pareil sous les rails, pensez-vous ? Il suffit de savoir qu’il a été commandé en 1939 pour commencer à déceler sa funeste raison d’être.

A l’époque, la Seconde Guerre mondiale est sur le point d’éclater et Paris, comme l’Europe, se prépare au pire, hélas en-deçà de ce qu’il sera. Son aménagement est le fait de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) qui, redoutant des attaques au gaz menées par l’ennemi allemand d’alors, cherche à déployer un arsenal de solutions afin que ses employés puissent continuer à faire circuler ses trains autant que possible. A son bord, tout doit donc concourir à ce que l’activité ferroviaire se poursuive, qu’elle concerne la gare en elle-même comme la supervision du trafic dans toute la région de l’Est de la France qu’elle dessert.

Tout logiquement, l’accès à cet abri sous les rails se veut déjà le plus discret possible. Aujourd’hui encore, c’est par le truchement d’une trappe que s’ouvre la voie à son accès. Au moyen d’un escalier, on opère alors une descente en sols troubles qui débouche sur une porte aussi épaisse qu’étanche. Une fois franchie, celle-ci nous laisse face à une autre porte du même genre : c’est que l’on a atterri dans un espace alors conçu comme un sas de décontamination, en cas d’attaques au gaz. Passée cette seconde porte, le bunker de la Gare de l’Est se dévoile enfin à nous.

Ce sont alors pas moins de onze pièces qui le composent sur 120 m2, chacune d’entre elles étant dédiée à une activité essentielle au maintien du service ferroviaire. Parmi celles-ci, quatre salles sont dévolues à la régulation du trafic, deux sont prévues pour les activités de commandement, trois sont davantage des espaces où tout est réuni pour assurer une autonomie la plus grande, qu’il s’agisse du central téléphonique, de la soufflerie ou des besoins en énergie.

Dans ces entrailles où la température est stable à 15° en toute saison, tout a été pensé pour que 70 personnes puissent y œuvrer durant dix heures continues, du groupe électrogène aux…vélos ! Ces cycles ressemblent davantage à des vélos d’appartement, à dire vrai : leur fonction est essentielle puisqu’ils rendent possible la production d’électricité permettant la ventilation de l’espace comme le filtrage de l’air. A la guerre comme à la guerre, comme qui tristement dirait.

D’ailleurs, la guerre a toujours plus d’imagination macabre que les horribles personnages qui la déclenchent, la mènent et pensent la maîtriser. A sa très petite échelle, l’histoire de ce bunker nous le rappelle, lui qui fut détourné de son intention initiale. La SNCF commence à le construire en 1939 pour se protéger de l’ennemi nazi, et ce sont finalement eux, une fois devenus les occupants de Paris, qui en achèveront la construction en novembre 1941, dans le but de servir leurs objectifs propres.

Mais fût-il seulement utilisé ? La question demeure. A en juger par la préservation presque parfaite des espaces, rien ne laisse deviner une quelconque forme d’usure générée par une activité humaine, même si les écriteaux allemands témoignent qu’ils étaient fin prêts à en faire usage. C’est justement ce côté intact qui en fait un témoignage unique pour ne pas oublier, comme si ce bunker avait le pouvoir de nous conter l’histoire incontestablement bien réelle, que l’on pourrait dénommer L’Horreur au rail dormant.

La fragilité des lieux empêche que ce patrimoine ne nous permette de prendre suffisamment conscience de ce que son existence signifia, au moyen de sa visite. Tout juste ouvre-t-il ses portes exceptionnellement lors des Journées du Patrimoine, organisées en France en septembre, chaque année.

Sous le sol de Paris, s’enracina l’espoir toutefois aussi, pendant la Seconde Guerre mondiale. Plus au sud de la capitale, là aussi voisin des rails de la station de métro Denfert-Rochereau, c’est à vingt mètres sous terre que le Colonel Rol-Tanguy, dirigeant de la Résistance, installa son poste de commandement d’où il préparera la Libération de Paris. Et il vous est possible de le visiter au long de l’année.

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