On grimpe à bord du Shinkansen, le TGV japonais

Une obsession nipponne

Depuis l’inauguration du TGV en 1981 par le président Mitterrand, la France ne cesse de s’enorgueillir de son célèbre train à grande vitesse et de son exportation à l’étranger. S’il s’agit d’un motif de fierté légitime, le pays n’a pourtant pas été le premier à lancer une telle ligne. Loin de là. Dix-sept ans plus tôt, le Japon lançait en effet le premier train à grande vitesse au monde : Le Shinkansen. Toujours en service aujourd’hui, il est réputé pour sa ponctualité, sa sécurité et son confort. Des qualités qui ont parfois un prix élevé. 

Si vous trouvez que le nom du TGV manque un peu de poésie, sachez que son homologue japonais ne fait pas mieux. Et pour cause, Shinkansen signifie littéralement “nouvelle ligne principale”. Un nom parfaitement adapté puisque l’idée de ce train apparaît en 1957 alors que l’archipel nippon est en pleine phase de croissance économique post-Seconde Guerre mondiale et bombardement atomique. Ses dirigeants réalisent alors que ses trains ne sont pas adaptés à son économie. Le pays a besoin d’un train rapide reliant ses grands centres économiques. Le nom est tout trouvé. 

Sept ans plus tard,  le 1er octobre 1964, le Shinkansen est inauguré. Juste avant le début des Jeux Olympiques de Tokyo, qu’il relie à Osaka à la vitesse de 210 kilomètres/heure. Le succès ne se fait pas attendre : en moins de trois ans, plus de cent millions de passagers profitent d’un trajet à son bord malgré des tarifs élevés. La prouesse est telle pour l’époque que le vice-président du Keidanren, le syndicat des patrons japonais, va jusqu’à déclarer à son propos : "Je crois que la destruction du Japon par la guerre a été plutôt favorable pour l'industrie japonaise car elle nous a permis d'abandonner nos vieux systèmes et on a pu reconstruire l'industrie japonaise comme on peint sur un papier blanc". Des propos qui peuvent choquer mais qui en disent long sur ce que représente le Shinkansen dans une partie de l’imaginaire collectif nippon. 

Depuis lors, ce dernier n’a d’ailleurs pas failli à sa mission. Année après année, les liaisons se multiplient un peu partout dans l’archipel et la vitesse des trains augmente pour atteindre 320 kilomètres/heure sur certaines d’entre elles. Pour y parvenir, le Shinkansen a fait un choix qui le différencie profondément du TGV français. Ce dernier utilise en effet le réseau ferroviaire existant tandis que son ancêtre japonais utilise un rail qui lui est entièrement dédié. Ainsi, il n’est jamais gêné par le trafic des trains classiques, ce qui explique en partie sa ponctualité légendaire. Le qualificatif n’est pas excessif puisque son retard moyen est estimé à six secondes, même s’il atteint parfois la trentaine de secondes. De quoi laisser rêveurs les usagers du reste du monde. Ce choix stratégique n’explique cependant pas entièrement la ponctualité du Shinkansen. Comme l’ont souligné de nombreux observateurs du Japon, elle prend aussi sa source dans la discipline bien connue de la société nippone, dont la rigidité sociale n’est plus à prouver. 

La construction de ce nouveau réseau n’a toutefois pas été sans impact. La topographie montagneuse du Japon, qui expliquait que les trains plus anciens soient lents et sinueux, a impliqué de très lourds travaux. De nombreux tunnels, ponts et viaducs ont ainsi vu le jour un peu partout dans le pays pour couper à travers le paysage et limiter les courbes prises par le Shinkansen à 2500 mètres de rayon et les pentes à 1%. 

L’autre qualité que l'on attribue régulièrement à ce train à grande vitesse est son indéniable confort. Ses rames, conçues spécialement pour lui et renouvelées à l’ouverture de chaque nouvelle liaison, offrent une largeur de 3,21 mètres contre 2,904 mètres pour celles du TGV français. A l’intérieur, les sièges sont quant à eux tous installés dans le sens de la marche et pivotent automatiquement lorsque le train atteint son terminus. Une idée aussi simple qu’efficace qui évite l’inconfort ressenti par certains passagers lorsque le paysage défile dans le mauvais sens. 

Si vous n’avez jamais pris le Shinkansen, vous ignorez sûrement que son plus grand luxe réside dans ses plateaux repas. Car s’il est franchement mal vu de manger dans le métro des grandes mégalopoles japonaises, les choses sont très différentes quand on parle de grande vitesse. Appelés les Ekiben, contraction de trois mots signifiants “plateaux repas vendus à la gare”, ils sont préparés le matin même avec des produits frais. Mieux encore, chaque ligne du Shinkansen a ses propres plateaux, tous directement inspirés des spécialités de la Préfecture d’où part le train. Il s’agit donc d’une véritable expérience gastronomique et culturelle, bien loin des sandwichs industriels et des cafés sans goût qui peuplent souvent les tortillards du monde entier. 

Les nombreuses qualités du Shinkansen n'empêchent pas le Japon de s'escrimer à le rendre toujours plus performant. Depuis 2019, celui-ci teste donc des prototypes de rames, dites ALPHA-X, censées pouvoir rouler à 360 kilomètres/heure à horizon 2030-2031. Il fait pour l’instant face à un problème de bruit excessif et de distances de freinage trop longues. Mais rien qui puisse décourager les ingénieurs d’aller toujours plus vite sur le rail. 

Vous l’aurez compris, le Shinkansen porte en lui les splendeurs, les obsessions et les cicatrices de la société japonaise. Bien plus qu’un moyen de transport, il est le résultat d’une histoire douloureuse, d’un sens aigü de l’excellence et d’une certaine vision de la société et de la collectivité. Mais après tout, nous l’avons souvent montré dans ces colonnes avec l’Ofotbanen, les chemins de fer italiens ou espagnols, les trains véhiculent toujours plus que des passagers ou des marchandises. 

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