Le premier chemin de fer a 2.600 ans, et c’est en Grèce qu’il fut inventé

Hâte-toi lentement. Cette devise grecque puis latine va si bien au monde ferroviaire. Elle exprime ce temps long qui est inévitablement nécessaire dans ce secteur, pour qu’y mûrissent à point nommé les projets les plus durables. Et d’ailleurs, il se pourrait bien qu’elle ait inspiré celui qui inventa le premier, ou plutôt l’ancêtre, des chemins de fer. C’était il y a vingt-six siècles de ça, sur les bords de la Méditerranée.

A l’époque, Athènes, Sparte, Thèbes, comptent parmi ces cités grecques qui, à mesure de leur développement, voient leurs productions s’accroître au point de pouvoir en faire le commerce entre elles puis avec des territoires éloignés de la Grèce. Les prémices de cette économie transfrontalière imposent de créer des moyens de transport qui la rendent possible, et ce sont les embarcations antiques qui vont permettre de traverser les mers…et bientôt la terre.

Oui, aussi fou que cela puisse paraître, c’est le transport maritime qui a accouché du premier chemin de fer répondant au doux nom de diolkos (comprendre portage à travers). Si les flots sont en effet fort pratiques pour convoyer des biens, les Grecs d’alors se rendent compte qu’un raccourci terrestre serait toutefois bienvenu pour gagner du temps. Ce chemin de traverse se situe précisément au niveau de l’isthme de Corinthe, cette courte bande de terre qui relie l’Attique au Péloponnèse : si les bateaux pouvaient voguer par-dessus, cela leur éviterait par la même occasion de passer par les caps Ténare et Malée, complexes à naviguer en raison de coups de vent qui y sont fréquents.

Qu’à cela ne tienne, eurêka ! On entreposera les bateaux sur des sortes de chariots et, tirés par des hommes ou des animaux au moyen de cordes, il suffira qu’une voie guidée, conçue sur la base d’un dispositif empêchant que le véhicule ne puisse dévier de sa route, soit tracée pour que tout se passe sans le moindre accroc. C’est au VIIe siècle avant J.-C. que cette solution-miracle est trouvée.

Sans plus attendre, l'aïeul de la voie ferrée est construit sur 6 à 8 kilomètres, de quai portuaire à quai portuaire. Et si les concepteurs de son tracé veillent à éviter judicieusement de lui donner un aspect d’anachronique montagne russe, il n’en passe par moins des portions où l’itinéraire peut atteindre 7% de pente. Évidemment, selon la charge du bateau, navire et cargaison pouvaient être transportés séparément. En partant du principe d’une vitesse supposée de 2 km/h, il fallait donc trois à quatre heures aux navires pour traverser l’isthme de Corinthe et s’épargner les ingrats caps péloponnésiens.

Si l’usage premier du diolkos fut commercial, il n’en devint pas moins un canal stratégique à l’heure d’entrer en guerre. Tacticiens militaires entre tous, les Spartiates l’ont à ce titre utilisé à plusieurs reprises pour faire passer leurs sculpturales trières, ces vaisseaux de guerre à rames, et aller menacer les Athéniens. Plus tard, ce sont les Macédoniens, les Romains et même les Byzantins qui y auront recours pour prendre leurs adversaires à rebours.

Le diolkos est précieux à bien des égards, et sans doute le fut-il plus encore pour la cité de Corinthe. Si on ne connaît pas la nature des bénéfices qu’elle tira de l’installation sur son territoire du précurseur du chemin de fer, le seul fait que celui-ci fut utilisé et entretenu méthodiquement durant plus de six siècles et demi, laisse envisager une entreprise lucrative. Véritable service conçu autour d’un droit de passage moyennant péage, cette activité a sans doute créé une sorte de compagnie de chemin de fer avant l’heure.

Il faudra attendre l’empereur romain Néron pour que l’idée advienne de creuser un canal en lieu et place du diolkos. Les travaux commencent en 67 après J.-C. mais sont vite abandonnés en raison de leur coût, et ce n’est finalement qu’en 1893 que sera inauguré le Canal de Corinthe. Sa construction d’alors comme les manœuvres actuelles des navires ont pour effet d’endommager ce qu’il nous reste du diolkos. Aujourd’hui, il vous est encore possible de voir 1,1 km de son tracé, grâce à un travail archéologique de longue haleine. A l’occasion d’un séjour en Grèce, ne manquez pas de contempler ce qui est presque la première preuve qu’impossible n’est pas ferroviaire.

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