Saison 10 - La deuxième levée de fonds

Épisode 2 - Premier trimestre 2021- Début 2022 - Le roadshow des ROSCO


Romain Payet — Une fois notre modèle de financement choisi, il nous faut faire le tour des ROSCO — les entreprises qui louent locomotives, wagons et voitures de passagers — pour en trouver une qui accepte de financer nos actifs. Dans le monde du financement, c’est ce qu’on appelle un roadshow, une sorte de tournée si on veut.


Sauf que nous l’avons dit dans l’épisode précédent, il s’agit de la partie du financement que nous connaissons le plus mal. Nous décidons donc de nous faire accompagner par une société appelée Apex Rail. Ce ne sont pas des banquiers d’affaires classiques mais des financiers spécialistes du ferroviaire qui nous ont été conseillés par Odile Fagot. Pour ceux qui ont pris le train en marche, Odile est l’une des membres de notre comité stratégique et une immense spécialiste du secteur ayant occupé des postes de très haut niveau. Nous avons tout de suite été séduits par Apex Rail car il s’agit d’une petite équipe, très agile, qui connaît tout le marché des ROSCO. Mais surtout, ils ont accompagné FlixTrain dans l’acquisition de sa première flotte qui fait à peu près la taille de celle que nous voulons également acquérir. Nous aimons qu’ils n’aient pas seulement travaillé avec des géants comme la SNCF et la Deutsch Bahn. Ils ont un esprit start-up qui ressemble au nôtre. Et puis, une fois encore, ils ont réussi à vendre le dossier de FlixTrain à des ROSCO. C’est précisément ce qu’il nous faut.

Bien évidemment, nous ne pouvons pas nous lancer dans ce roadshow des ROSCO sans quelques prérequis. En collaboration avec Apex, nous établissons et/ou complétons donc les trois documents dont nous aurons besoin. Premièrement, un mémorandum d’informations, qui explique assez longuement notre positionnement sur le marché, l’état de la concurrence, les chiffres du secteur, etc. Ensuite, le business plan, un document beaucoup plus financier qui se penche sur la manière dont nous allons pouvoir gagner de l’argent et qui émet plus de deux cents hypothèses. Enfin, sur la base des deux précédents, nous établissons une liste de ROSCO susceptibles de financer notre projet. Celle-ci est évidemment réduite en raison des spécificités du projet qui n’intéresseront pas tous les acteurs du marché. Nous ne nous adresserons pas à celles qui refusent catégoriquement de faire du passager ou dont nous ne pensons pas pouvoir influencer les choix.

Une fois cette liste établie, nous commençons notre roadshow. Mais soyons bien clair, cela n’a rien d’un rail-trip où Adrien, Nicolas et moi monterions dans un train de nuit pour présenter notre projet dans toutes les ROSCO d’Europe. Dans les faits, il s’agit pour les gens d’Apex Rail de passer des coups de fils à toutes les heureuses élues pour savoir si elles sont intéressées. Elles sont au nombre de vingt-cinq. Vingt d’entre elles sont intéressées et nous leur envoyons donc le mémorandum d’informations et le business plan. Une fois qu’elles ont cela en main, elles font un travail d’étude en interne pour déterminer si Midnight Trains peut entrer dans leur stratégie. Si c’est le cas, l’étape suivante consiste en une présentation du projet par le management — Adrien, Nicolas et moi — qui répond à leurs questions. Après cela, il reste cinq ROSCO véritablement intéressées pour entrer dans la phase 2 du roadshow : l’évaluation du matériel roulant.  

Nicolas Bargelès — Il faut bien comprendre que les ROSCO sont pour moitié composées d’ingénieurs et pour moitié de financiers, tous spécialistes des matériels roulants, de leur durée de vie et de leur amortissement. Cependant, leur connaissance des différents segments du marché, de ses grandes hypothèses et de son potentiel futur est parfois lacunaire. Surtout lorsque cela concerne le transport de passagers, de nuit, et à l’international — soit une niche de marché du point de vue de ces acteurs dont le développement s’est essentiellement basé sur des acquisitions de locomotives pour le trafic marchandises. Ce qui encore plus vrai dans certains pays que nous visons où l’ouverture du transport régional est à un stade plus avancé qu’en France, dans le financement de telles rames. Ce qui les intéresse le plus est donc de savoir si elles vont pouvoir trouver de la rentabilité en achetant nos trains. Or, la plupart du matériel roulant s’amortit sur vingt-cinq ans, alors qu’un contrat-type avec une entreprise comme la nôtre court sur une dizaine d’années. Il faut donc les convaincre que notre modèle est pertinent mais aussi que, si nous mettons la clé sous la porte dans dix ans, ils pourront trouver d’autres opérateurs auxquels louer ces locomotives et ces voitures de nuit.

Romain Payet — Vous l’avez compris, avant de s’engager plus avant, les cinq ROSCO toujours en course veulent en savoir plus sur notre futur matériel roulant. Petit problème, à ce moment-là, nous hésitons encore entre trois constructeurs. Nous espérons en effet que l’expertise des ROSCO nous aidera à prendre notre décision. Mais c’est une décision un peu casse-gueule. Car nous ajoutons au risque matériel, au risque de faire du transport de passagers, au risque de ne pas être une délégation de service public, le risque d’avoir l’air de ne pas savoir ce que nous voulons. À cela s’ajoute le fait que ces constructeurs ne sont pas que des mastodontes comme Siemens ou Alstom. Certains sont un peu plus… exotiques.


Quoi qu’il en soit, les ROSCO nous demandent à visiter les usines mais ni nous ni eux n’avons les ressources pour envoyer cinq équipes dans trois pays d’Europe. Nous finissons donc par sélectionner définitivement notre constructeur et lui demandons d’émettre un document définissant les termes économiques, juridiques et opérationnels de notre collaboration. Une fois que ce choix est fait, seuls deux ROSCO sont encore dans la bataille car elles valident notre choix et veulent absolument visiter l’usine en Europe de l’Est. C’est à l’issue de cela que nous pourrons faire notre choix définitif. Si elles sont toutes les deux intéressées.

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