Saison 2 / La Très (Très) Grande Vitesse
Episode 2 / Peut-on équiper le monde en infrastructures à Très Très Grande Vitesse ?


Nous l’avons vu la semaine dernière, la vitesse est une composante fondamentale, organique même, de l’industrie ferroviaire. Au cours de l’histoire, celle-ci n’a donc jamais cessé d’augmenter et a permis de faire progresser mécaniquement le nombre de trains et de passagers pouvant emprunter le réseau ferroviaire. Aujourd’hui encore, malgré les 320 kilomètres/heure du TGV et les vitesses équivalentes de ses homologues, nombreux sont ceux qui veulent continuer à faire accélérer le transport ferroviaire.


Cette quête contemporaine de la Très (ou la Très Très) Grande Vitesse a plusieurs noms et plusieurs formes : Maglev, Hyperloop ou encore Space Train. Mais tandis que ce dernier projet a été enterré par la justice française lorsque ses deux principaux dirigeants ont été condamnés à de la prison au mois de janvier 2023, les deux autres font encore des émules en Europe et ailleurs. Comme nous l'évoquions la semaine dernière, ils souffrent toutefois d’un défaut commun. Ils impliquent la construction de gigantesques infrastructures pour avoir une chance de révolutionner le transport de voyageurs.

Bien évidemment, de tels chantiers auraient un coût au kilomètre absolument exorbitant, bien plus élevé que celui du rail classique ou du rail à grande vitesse. Pour rappel, Patricia Pérennes, économiste des transports chez Trans-Missions, interrogée par Midnight Trains, estime que le minimum absolu dans des conditions idéales — rénovation d’une ligne à vitesse normale, plate et non électrifiée — est à situer selon les lignes entre 1 et 2 millions d’euros par kilomètre. Ainsi, en 2018, la remise en état de la ligne entre Carcassonne et Castelnaudary avait coûté 1,4 million d’euros par kilomètre contre 1 million d’euros pour celle reliant Pau et Oloron. Quant à la Grande Vitesse, l’addition est autrement plus salée puisque chaque kilomètre de la LGV Paris-Lyon a coûté 5,5 millions d’euros contre 15,7 pour la LGV Grand-Est, 17,5 pour la LGV Rhin-Rhône et 19,7 pour la LGV Méditerranée. “Ces variations s’expliquent par de nombreuses raisons comme l’évolution des normes mais aussi la pente présente sur la ligne et la valeur des terres traversées. Faire passer une ligne dans le Morvan ou à travers le vignoble bordelais n’a pas le même prix. C’est une des raisons pour lesquelles la LGV Paris-Lyon a été construite la première, parce qu’elle reliait les deux principales villes de France dans de bonnes conditions”, explique Patricia Pérennes.


A une époque où la plupart des gouvernements européens sont plus occupés à maintenir leur rail en bon état qu’à ouvrir de nouvelle lignes, il semble donc peu probable qu’un grand réseau européen à Grande Vitesse voit le jour à court ou moyen terme. Cela reste toutefois bien plus crédible que la construction de lignes de Maglev ou d’Hyperloop. “L’énorme avantage du TGV par rapport à ces technologies, c’est qu’il peut sortir du rail à Grande Vitesse pour utiliser le rail traditionnel et finir son trajet jusqu’aux centre-villes. Ce que ne pourraient pas faire ces trains à cause de leurs infrastructures. Ils imposeraient donc une rupture de charge aux voyageurs et, s’il faut descendre de l’Hyperloop à Massy-Palaiseau puis finir en RER D, on repassera pour la compétitivité”, rappelle l’économiste des transports qui n’imagine pas que l’on puisse fabriquer les grands tunnels sous vide d’Elon Musk jusqu’à la Gare de Lyon à Paris ou la Gare Saint-Charles à Marseille. Et on ne peut que partager son analyse.


A cela s’ajoute la question écologique. “Construire une ligne à Grande Vitesse, ce n’est pas construire une petite ligne qui passe à travers les sapins. Il faut tirer droit et cela implique de raser la nature, de niveler le paysage et de le bétonner. Sans remettre en cause le fait que le train soit plus écologique que la voiture ou l’avion, on peut donc se poser la question du bilan écologique d’un tel projet par rapport aux populations auxquelles il s’adresse”, décrit Patricia Pérennes. Elle poursuit : “On constate en effet aujourd’hui que les gens ayant peu de moyens préfèrent parfois prendre des autocars alors que les trajets sont autrement plus longs qu’en train ou en avion. S’il s’agit simplement de faciliter le déplacement des clientèles business ou de permettre de se faire un petit week-end à Marseille ou à Toulouse depuis Paris, c’est questionnable”. Une analyse qui, en plus de s’appliquer avec autant de justesse aux éventuelles lignes de Maglev ou d’Hyperloop, pose une question fondamentale : et s’il fallait réapprendre à prendre le temps plutôt que de continuer à accélérer ?


Cette question est d’autant plus importante que, comme vous l’avez certainement compris à l’issue de cet article, l’installation de telles infrastructures n’est pas vraiment à l’ordre du jour. Patricia Pérennes en veut pour preuve la date annoncée en France pour le déploiement de la CCR, la Commande Centralisée du Réseau. Déjà en place en Belgique, celle-ci, qui permettrait de supprimer les 2200 postes d’aiguillages, dont 1500 sur le réseau structurant, est prévue à horizon 2060-2070. Alors des tubes sous vide à travers les campagnes…

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