Saison 10 - La deuxième levée de fonds

Épisode 4 - Mars-Juin 2022 - Le plus dur est-il fait ? Rien n’est moins sûr

Adrien Aumont Maintenant que nous avons un financeur pour nos trains, nous avons la sensation d’avoir fait une grande partie du chemin, d’avoir franchi l’obstacle le plus difficile de cette partie de notre aventure. Après tout, l’acquisition de ces trains constitue la plus grosse partie du montant dont nous avons besoin. Depuis le début du projet, nous avons pensé les choses pour être asset light, c’est-à-dire ne pas faire porter l’achat des trains à notre bilan économique. Les faire acquérir à une ROSCO puis les lui louer est donc une belle réussite à nos yeux.


Ce qu’il reste à financer, l’opérationnel, relève pour nous du domaine des fonds de capital-risques, les fameux VC dont nous avons déjà parlé précédemment dans cette newsletter. Ceux qui ont bonne mémoire le savent, nous avons peiné à les convaincre d’investir dans Midnight Trains lors de notre levée de fonds d’amorçage (ce qu’on appelle un tour de seed money). Mais maintenant que les trains sont financés, il n’y a pas de raison qu’ils ne puissent pas s’impliquer. Nous calibrons donc notre nouvelle levée de fonds pour ce genre d’investisseurs en prenant en compte les besoins de l’entreprise et les garanties exigées par la ROSCO. Puis, nous décidons de la diviser en deux parties, une série A et une série B dans le jargon. La première permettra de verser les garanties exigées par la ROSCO ainsi que de financer l’entreprise pendant les deux ans de construction des trains. Au cours de ces deux ans, nous referons un tour de table pour lancer concrètement la ligne et couvrir la montée en puissance qui conduira à sa rentabilité.

Romain Payet — Pour trouver les VC dont nous avons besoin, nous repartons de la première liste que nous avions établie et nous l’élargissons jusqu’à ce qu’elle contienne une cinquantaine de noms. Nous savons que c’est un produit difficile à financer, que nous sommes loin des bases du capital-risque et nous arrivons à la conclusion qu’il vaut mieux taper large. Parmi ces cinquante noms, nous en contactons environ trente-cinq via des mises en relation personnelles, le plus souvent grâce à certains de nos actionnaires actuels. Il faut bien comprendre que les VC reçoivent énormément de dossiers, parfois plus de mille par an. Un premier tri s’opère donc ainsi, lorsqu’un tiers de confiance fait le pont.

Cela nous permet de décrocher une vingtaine de rendez-vous qui suivent toujours le même modèle : environ trente minutes, en visio, avec un analyste en interne qui a regardé le deck — la présentation du projet que nous lui avons envoyée — et qui va en challenger quelques points. En général, si l’analyste aime le projet, il le présente au comité d’investissement qui se réunit toutes les semaines et passe en revue tous les dossiers examinés au cours des sept derniers jours. S’ils sont intéressés, qu’ils trouvent que ça mérite de creuser, l’analyste fixe un nouveau rendez-vous d’une heure environ, parfois en physique. Au cours de celui-ci, il fait redescendre les questions des autres membres du comité pour avancer. Cette rencontre n’a pas vocation à être conclusive. Elle permet de soutenir son modèle et conduit à la production de nouveaux documents pour répondre aux différentes interrogations du fonds d’investissement. Ce dernier mobilise en général un expert qu’il connaît pour vérifier qu’on ne leur raconte pas n’importe quoi, que quelque chose de capital n’a pas été oublié, etc. Au fur et à mesure, le dossier s’épaissit, métaphoriquement et physiquement, avant de passer à nouveau devant le comité d’investissement. Et cette fois, ça devient conclusif. Il sort de cet ultime examen une lettre d’intérêt, une term sheet, qui précise le montant que le fonds pourrait investir, les conditions de gouvernance qu’il demande ainsi qu’une échéance de quelques mois. Temps durant lequel les derniers éléments seront vérifiés.


Adrien Aumont — Voilà pour la théorie. Mais dans notre cas, les choses ne se sont pas tout à fait passées dans l’ordre. D'abord, nous avons majoritairement eu affaire à des analystes juniors. C’est tout à fait classique mais cela ne facilite pas la présentation d’un projet aussi complexe que le nôtre. Mais surtout, même si la curiosité des analystes nous a valu beaucoup de rendez-vous, nous avons vite réalisé qu’il n’y avait pas d’expertise ferroviaire ni d’expertise voyage face à nous. Nous avons donc passé nos premiers rendez-vous à faire de la pédagogie, à expliquer le b.a.-ba du secteur et de son fonctionnement. C’est d’autant plus embêtant que cela nous empêche de vendre nos forces, nos qualités, ce qui fait que notre projet a du sens. Lorsque ces fameux analystes juniors doivent défendre notre projet devant leur comité d’investissement, ils se retrouvent donc comme des poules face à un couteau.


Nicolas Bargeles — Concrètement, nous devons souvent répondre à des questions surprenantes. On nous demande par exemple si nous allons rouler sur les mêmes rails que la SNCF ou sur les nôtres, et si, vraiment, on nous laissera le faire… Dans ce genre de situation, où il faut expliquer les bases du ferroviaire, nous devons différer des échanges sur les spécificités et la plus-value de notre projet. Nous sentons donc parfois assez vite qu’il sera difficile d’emporter une conviction rapide.


Romain Payet — A leur décharge, il faut comprendre qu’il est normal que les VC ne connaissent pas parfaitement notre secteur. Ils investissent dans des projets allant de Midnight Trains à de la Fintech en passant par des start-ups en tous genres. Habituellement, ils se construisent une compréhension des domaines avec des vagues comme la Blockchain, l’intelligence artificielle, la livraison de nourriture à domicile, la mobilité du dernier kilomètre ou autre. Dans notre cas, il n’y a pas de précédent et ils n’auront pas de nouveau projet ferroviaire avant longtemps.

De plus, comme nous l’avons déjà expliqué lors du chapitre sur l’amorçage, nous n’entrons pas dans leur thèse d’investissement. Nous ne sommes pas seulement une boîte de tech, nous sommes aussi situés quelque part entre l’infrastructure et l’industriel. Cela implique que, même si nous pouvons générer beaucoup de revenus, nous avons de gros besoins de départ. De plus, en attendant nos trains, nous ne pouvons pas itérer le modèle, ce qu’ils ont pourtant l’habitude de faire. Ils investissent, ils itèrent, ils règlent, ils réitèrent, ils réinvestissent et ainsi de suite. Puis, ils sortent, pour matérialiser leur plus-value. Là encore, ça ne colle pas. S’ils entrent au capital de Midnight, ils devront en sortir plus tard et avec un risque accru. Tout ça ne colle pas pour eux.


Nicolas Bargelès — Il y a également les garanties demandées par la ROSCO… En effet, une partie de l’argent servira à monter une équipe, à créer un système d’informations, à communiquer sur notre marque, etc. C’est constructif, concret. Contrairement à l’autre partie de l’argent dont nous avons besoin pour les garanties. Celui-ci est immobilisé sur un compte sous séquestre et il ne travaille donc pas. Ce n’est pas usuel pour eux, c’est même contre-intuitif et cela s’avère être un point difficile à accepter pour eux.

Romain Payet — Résultat, nous nous entendons répondre par les VC qu’ils adorent le projet, qu’ils seront nos premiers clients mais qu’ils ne peuvent pas investir, que ça ne correspond pas assez à ce qu’ils font sur tel ou tel point. C’est là que nous avons probablement fait une erreur, en croyant que malgré notre expérience précédente avec eux, ils allaient regarder le projet différemment une fois les trains financés. C’est un coup dur mais un autre plan de financement s’ouvre soudain à nous, amené par l’un de nos actionnaires.

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