Saison 10 -  Le train de nuit
Épisode 2 - Est-il aussi écologique qu’il y paraît ?

Parfois, les apparences sont trompeuses. Comme l’ont révélé de nombreux articles, il arrive parfois qu’un plateau de sushis — avec son riz blanc et son saumon cru — soit plus calorique qu’un hamburger débordant de sauce et de fromage. D’autres fois, les choses sont très claires et, sans la moindre surprise, la pizza chorizo/raclette/bœuf strogonoff est plus calorique que la petite salade verte arrosée d’un filet de citron. C’est un peu le genre de constat que nous avons fait en étudiant la dimension responsable du train de nuit. Au point qu’on s’est tâté à résumer ce Joli Futur à quelques phrases expliquant qu’il n’y avait même pas match. Que le train est tellement plus écologique et durable que l’avion ou la voiture que ça ne servait à rien de dépenser l’énergie utilisée par l’ordinateur pour écrire une telle évidence. Après tout, on ne tire pas sur les ambulances. Sauf que, malheureusement, les avions courts et moyens courriers ne sont pas vraiment sous assistance respiratoire ni en partance pour les urgences. Pas plus que le véhicule individuel. Du coup, on tire. Fort. À plein régime.


On ouvre donc le feu avec un chiffre difficile à contester puisqu’il vient du gouvernement français lui-même. Or, malgré quelques effets d’annonce, ce dernier n’est pas exactement le plus grand artisan d’un retour concret du train de nuit. Quoi qu’il en soit, quoi qu’en dise les détracteurs du tortillard noctambule : “le train émet jusqu’à 50 fois moins de CO2 que la voiture et 80 fois moins de l’avion.” Alors oui, c’est vrai, si vous vous intéressez à la décarbonation des transports, vous connaissez déjà ces chiffres. Mais ça fait toujours plaisir, non ? Alors on se refait un petit passage sur les calculs qui le prouvent, toujours sourcés auprès de Réseau de transport d’électricités (RTE) et la Base Carbone de l’ADEME, l’agence française pour la transition écologique. L’émission d’une voiture partagée avec un taux d’occupation moyen de 2,2 passagers est de 88g de CO2e (qui signifie équivalent carbone) par kilomètre et par voyageur. Quant à l’émission de CO2 d’un avion de voyageurs de 101 à 220 passagers sur des “trajets de <500 km, 500-1000 km et court courrier sans traînée”, il est de 141g de CO2e/km/voyageur. Enfin, dans un train à Grande Vitesse (TGV, Lyria, OUIGO), un voyageur consomme 1,73g de CO2 par kilomètre.

Et si on remplace train à Grande Vitesse par train de nuit, c’est encore plus impressionnant. “Contrairement à l’avion, dont le déplacement nécessite de vaincre un truc qui s’appelle la gravité, un simple souffle de vent peut faire bouger un train. Bien évidemment, si on veut qu’il file à 300 kilomètres/heure, il faut déployer un peu plus d’énergie”, explique Patricia Pérennes, économiste des transports au sein du cabinet Trans-Missions. Elle poursuit : “Sauf que le train de nuit ne roule en général qu’entre 160 et 200 kilomètres/heure, ce qui le rend encore moins énergivore. Mieux encore, les trains de nuit relient généralement des moyennes ou des grandes villes. Ils circulent donc essentiellement sur les lignes électrifiées et utilisent rarement les locomotives au diésel. C’est sans commune mesure avec l’avion, ce n’est même pas un débat.

Il reste cependant un problème. Dans presque toute l’Europe, les matériels roulants destinés au train de nuit sont vieillissants, souvent vieux de plus de 40 ans. En France, où c’est également le cas, la plupart des voitures destinées à cette activité ont été mises au rebut. Pas facile dans ces conditions de relancer l’activité et d’établir un grand réseau visant à remplacer — ou au moins à concurrencer — les avions courts et moyens courriers. “Il faudrait au minimum racheter des centaines de voitures, peut-être des milliers”, précise Patricia Pérennes. Mais alors, la construction d’un aussi grand nombre de voitures de trains de nuit n’alourdirait-elle pas massivement la note carbone du train de nuit comme alternative à l’avion ? Cela ne consisterait-il pas à entretenir une logique de production destructrice consistant à construire plutôt qu’à réutiliser l’existant ? La réponse de l’experte est sans appel : “Même dans ces conditions, ce n’est pas comparable. Les avions sont renouvelés tous les vingt ou trente ans et ils sont faits du même acier, des mêmes matériaux ou presque que les trains. Donc que l’on commande de nouveaux trains de nuit ou qu’on laisse arriver une nouvelle génération d’avions, le problème est le même. Ce à quoi s’ajoute, je le répète, le fossé qui sépare les bilans énergétiques des deux technologies”. Bref, jeu, set et match. Le train de nuit gagne. Haut la main. Loin devant ses concurrents qui pataugent dans une flaque de pétrole, étouffés par le dégagement de leurs propres échappements.

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