Saison 11 - La téléportation

Épisode 3 - Est-elle écologique et déployable à grande échelle ?

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C’est l’une des grandes leçons de l’âge adulte : certains rêves, certaines légendes, doivent rester du domaine de l’imaginaire. Car dans le fond, personne n’a envie qu’un barbu à barbe blanche et tenue rouge vif entre dans nos maisons pour déposer des cadeaux aux enfants. Pas plus que nous ne voudrions voir des souris se faufiler sous les oreillers de nos bambins pour s’emparer de leurs dents contre quelques piécettes. Ou pire, que des dragons survolent la Bourgogne, que des korrigans nous jouent des tours lors de nos vacances en Bretagne ou que des vampires tapent à nos portes une fois la nuit tombée. Eh bien, c’est pareil pour la téléportation.

Malgré le fantasme que peut représenter le fait de se déplacer n’importe où en un instant, cette technologie n’a probablement rien de souhaitable. Il suffit de se pencher sur sa déployabilité et sa dimension écologique pour s’en apercevoir. Tout d’abord, si la technologie était disponible demain, comment organiserions-nous son fonctionnement ? À n’en pas douter, celle-ci serait d’abord exploitée par une immense entreprise privée ou par des organismes publics ou para-publics. On peut, par exemple, imaginer des lieux ressemblant à des aéroports qui seraient organisés autour de grandes zones de téléportation avec des destinations bien précises. “Les voyageurs à destination de Sydney seront téléportés dans quelques secondes. Trois, deux, un… désassemblage moléculaire !”. Un flash lumineux éclaire la pièce ou un puissant son résonne contre les murs puis, une nouvelle voix annonce votre arrivée en un seul morceau de l’autre côté de la Terre. “Welcome to Sydney and G’day Mates”.

Impressionnant non ? Oui, sûrement mais combien cela coûterait-il de se déplacer ainsi ? Quelle somme faudrait-il débourser pour gagner les presque 24 heures que prend un vol entre Paris et Papeete ? Quel prix une entreprise devrait-elle pratiquer pour être rentable ? Après tout, il lui faudrait avoir développé ou acheté une telle technologie, l’avoir testée durant des années et avoir mis en place d’immenses campagnes de communication pour convaincre les gens de se laisser décomposer puis recomposer. Quand on voit la réaction des populations à la 5G, difficile de croire que les humains se laisseraient téléporter sans être certains de ne pas être stockés moléculairement dans un datacenter gouvernemental. Sans parler des risques de mort évidents que suppose un tel moyen de transport. Enfin, l’entité détentrice des téléporteurs devrait en installer dans suffisamment de pays pour que cela ait un sens au plan commercial. Car, contrairement à ce que défend la SF, la téléportation demanderait très vraisemblablement une machine pour désassembler ses passagers au point d’origine et une autre pour réassembler au point d’arrivée. Impossible de chiffrer le coût des recherches nécessaires à la création de ces machines, à leur construction et à leur déploiement mais ce serait faramineux. Enfin, il faudrait payer des milliers, peut-être même des dizaines de milliers de personnes pour faire fonctionner l’ensemble : des physiciens de haut vol, des ingénieurs brillants, des techniciens ultra pointus, du personnel de sécurité, d’entretien, de contrôle des titres de téléportation et ainsi de suite. Pas fou comme modèle économique.

Cela fait beaucoup de contraintes, non ? Que les chantres du transport instantané attachent leurs ceintures, ce n’est pas fini et loin s’en faut. Tout d’abord, il y a l’aspect règlementaire. À n’en pas douter, il faudrait des années pour que les gouvernements du monde entier autorisent le déploiement d’une telle technologie sur leur sol. Pire, au niveau des relations internationales, la téléportation susciterait probablement la crainte de tous les gouvernants de la planète. Surveiller des frontières, le ciel, la mer et l’espace est une chose. Mais supposer qu’une entreprise ou qu’un organisme étranger puisse téléporter n’importe quoi et n’importe qui sur son sol en est une autre. Cela donnerait lieu à d’interminables discussions multilatérales, puis à des accords incertains et temporaires sur le sujet. Jamais à une autorisation permanente d’exploitation. Enfin, les acteurs de la téléportation seraient rapidement la cible de lobbys aussi puissants que ceux de l’aviation et des énergies fossiles. L’histoire très récente le prouve, les avionneurs, les compagnies aériennes et les géants du pétrole ne comptent pas se faire enterrer si vite. Ils mènent une lutte acharnée contre tout ce qui remet leur existence en cause : l’écologie, la survie de la planète, la voix d’une génération déterminée à sauver le futur de ses enfants, etc. Alors la téléportation… Elle ferait sûrement l’objet de virulentes attaques de front, mais aussi de plus insidieuses, de celles qu’on inflige dans les couloirs du parlement européen ou dans le salon privé d’un grand restaurant.

D’ailleurs, même si on imagine mal des téléporteurs fonctionnant au gasoil, rien ne laisse penser que la téléportation serait écologique. Patricia Pérennes nous l’a expliqué dans un épisode précédent : ce qui demande autant d’énergie aux avions est de vaincre la loi naturelle de la gravité. Alors imaginez la formidable quantité d’énergie que pourrait nécessiter de combattre la loi fondamentale de l’organisation des particules. Sans parler de réassembler les mêmes particules pour reformer des humains. On parle vraisemblablement de quelque chose d’inimaginable en termes de puissance. Même si cette énergie était fournie par des sources renouvelables, il est probable que l’Humanité n’en produise pas encore assez à ce jour. Et puis, pourquoi utiliserait-on cette belle énergie verte pour cela ? Dans quel but ? A-t-on le moindre besoin de nous rendre en Inde ou en Argentine en une seconde ? A-t-on même besoin de s’y rendre tout court ? L’époque est bien plus à ce genre de questionnements qu’à ceux qui concernent le déplacement immédiat. Et puis, où construirait-t-on ces grandes zones de téléportation ? À la place des gares ou des aéroports ? Peu probable car ces moyens de transports, beaucoup plus accessibles financièrement ne disparaîtraient pas. Dans les villes ? Peu probable, l’immobilier est sous tension et les populations peinent déjà à s’y loger. Dans des zones de nature ou sur des terres arables ? Presque impossible à imaginer tant nous avons compris qu’il fallait les protéger. Alors où ? Eh bien, probablement nulle part…