Saison 9 - Épisode 10

Encore des solutions, aux contraintes des gestionnaires d’infrastructures

Nicolas Bargelès — Maintenant que nous avons établi une liste de lignes à ouvrir, nous devons absolument réussir à faire en sorte que les gestionnaires d’infrastructures (GI) se parlent. Qu’ils communiquent et parviennent aux meilleures solutions pour que nous puissions faire passer nos trains de la France à la Suisse — par Bâle ou par Vallorbe —  puis de la Suisse à l’Italie. Et inversement. Car, pour rappel, à ce stade, les planifications de travaux de RFI (Rete ferroviaria italiana), des Chemins de Fer Fédéraux (CFF) suisses et de SNCF Réseau ne sont pas toujours compatibles l’une avec l’autre.


Pour cela, je me suis rendu au Forum Train Europe (FTE), l’association européenne des entreprises ferroviaires (EF) qui réunit aussi les gestionnaires d’infrastructures. Une organisation presque aussi vieille que le chemin de fer, puisqu’elle a récemment fêté ses 150 ans. Mais surtout, elle se réunit cinq fois par an à Ljubljana — trois fois pour le fret et deux fois pour le passager — pour définir les sillons-horaires internationaux. Pourquoi Ljubljana ? Parce qu’il y a beaucoup de petites EF et de petits GI d’Europe centrale qui y viennent. C’est un peu le centre de gravité des participants. Et puis, ce n’est pas trop cher. C’est pratique pour tout le monde puisque ça permet de réduire la cotisation annuelle au minimum.

Le salon se déroule dans le Grand Hotel Union, qui a tout d’un décor de film de Wes Anderson à la sauce Empire austro-hongrois. Dans la salle de bal. Là, sur ce parquet probablement habitué à la foulée des danseurs, les GI et les EF ont chacun une table avec une petite pancarte indiquant qui ils sont. Ainsi, tout le monde peut parler à tout le monde de manière plus ou moins informelle. Ensuite, pour passer au concret, tout un programme des réunions par ligne, par axe est défini et se tient dans des salles de réunion à huis clos. C’est par exemple dans cette instance que s’est acté, en 1928, le prolongement du Simplon Orient Express jusqu’à Bagdad. Nos ambitions sont évidemment quelque peu plus modestes.


En ce qui nous concerne, nous avons réuni les représentants des CFF, de SNCF Réseau et de Rete Ferroviaria Italiana (RFI) dans une même pièce. Rien ne s’est décidé ce jour-là car nous en sommes alors au stade des “études de faisabilité”. Cependant, en réunissant les trois GI concernés par notre route Paris-Milan-Venise, nous avons franchi une étape. Nous avons mis fin à la réticence qu’ils avaient à se parler de notre cas à distance. Nous avons également, comme le veulent les usages, désigné un gestionnaire d’infrastructures pivot : les CFF. Ce sont donc eux qui seront au centre de la coordination de notre route ferroviaire. En faisant cela, nous sacrifions aux usages traditionnels mais nous savons qu’il s’agit surtout d’une question de forme. En effet, ce jour-là, nous ne réservons pas concrètement de sillons, nous savons que nous ne roulerons pas en décembre 2023. Par contre, nous avons obtenu des horaires indicatifs de bout en bout pour la première fois.

On prête allégeance au système hérité des opérateurs historiques, et on se fait mieux entendre. En parallèle du FTE, nous commençons à utiliser un nouvel outil mis en place par Rail Net Europe, l’association des gestionnaires d’infrastructure européens. Nommé Time Table Recast (TTR), il sacralise la planification des travaux et des sillons plus en amont qu’aujourd’hui en collectant les besoins de toutes les entreprises ferroviaires. Les Suisses et les Italiens sont bons élèves mais les Français traînent un peu la patte. Les habitudes sont tenaces et l’outil est encore récent. D’ailleurs, j’ai passé pas mal de temps à tenter de le débugguer moi-même en faisant remonter les problèmes à qui de droit. Il faut dire que certaines zones frontières sont mal définies, ce qui fausse l’établissement des routes. En essayant d’entrer nos besoins pour la route Paris-Milan-Venise, j’ai découvert que les points frontières français et suisses n’étaient pas décrits comme étant le même lieu, comme si la ligne s’interrompait à la frontière et que la traverser était impossible… C’est aussi ça l’aventure Midnight Trains : nous défrichons beaucoup de choses, même des logiciels. Quoi qu’il en soit, les processus TTR nous permettront de formaliser plus en amont notre besoin auprès des gestionnaires d’infrastructures. Cela correspond aux exigences d’un règlement européen qui prévoit que l’usage de cet outil sera complètement généralisé à horizon 2028-2029. D’une certaine manière, nous avons de la chance que les choses se développent ainsi, parallèlement à notre lancement, car tout aurait été encore plus complexe quelques années plus tôt.

Enfin, sur le fond, les Français veulent toujours bloquer l’itinéraire passant par Bâle, et les Suisses, plus occasionnellement, celui passant par Vallorbe. Lorsque ce ne sera plus le cas, il y aura un autre problème. Mais cela fait partie du jeu et aucun de ces problèmes ne marque la fin de la partie. La question des itinéraires, des travaux, des coordinations entre GI sont récurrentes. Elles se poseront à nouveau, sur cet itinéraire ou sur un autre, mais nous trouverons toujours des solutions. Et nous le ferons d’autant plus facilement que tout le monde connaît désormais notre besoin et que nous utilisons des outils que même les opérateurs historiques n’utilisent pas. De plus, la marche à blanc de 2024 devrait nous aider à y voir plus clair et à nous insérer dans le système.


Adrien Aumont — Comme le dit Nicolas, la temporalité de réservation des sillons fait qu’il est impossible pour nous d’avoir une photographie de ce que sera la disponibilité du réseau le jour où notre premier train roulera. Cela peut paraître étonnant mais c’est le cas pour tout le monde, les opérateurs historiques comme les startups.


Encore plus pour nous que pour les autres, ce n’est donc pas toujours facile de se faire entendre. Heureusement, grâce à Nicolas qui connaît toutes les strates des grandes maisons du ferroviaire, nous arrivons à échanger avec tous les niveaux. Car notre objectif consiste à faire bouger un peu la culture des grands groupes, afin que des gens à l’intérieur aient envie de nous aider, qu’ils aient à cœur que d’autres trains roulent sur leurs rails.

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