En 2050, pourra-t-on toujours prendre l’avion ?

Une liberté nécessairement conditionnelle

Tågskryt is the new flygskam. Dans un précédent article de Midnight Weekly, nous vous avions donné à comprendre le sens de ces deux termes venus tout droit de Suède pour exprimer la fierté de prendre le train, d’une part, et la honte de prendre l’avion, d’autre part. Dans la foulée de la prise de conscience climatique mondiale, ces néologismes constituent l’expression d’une lame de fond sociétale qui a pour mérite de nous interroger quant au bilan carbone de nos déplacements.

Pour autant, renoncer totalement à prendre l’avion est encore un défi ou une non-envie pour nombre de citoyens. A raison ou à loisir, il ne s’agit pas ici de les juger. Non, cette fois, nous avions envie de réfléchir avec vous sous quelles conditions prendre l’avion serait encore envisageable à l’horizon 2050. Vous l’imaginez, une compagnie européenne de trains de nuit comme la nôtre, qui se donne pour mission de concurrencer les vols moyen-courriers ne sera pas forcément impartiale, alors on a décidé de s’en remettre aux données mises en lumière dans un rapport réalisé par l’organisation The Shift Project et le collectif Supaero-Decarbo.

Si la pandémie du COVID19 a fait mettre genou à terre aux compagnies aériennes, le changement climatique pourrait bien constituer une crise logiquement plus durable pour ce secteur. Dans ce rapport, les équipes associées ont exploré plusieurs pistes à considérer pour l’anticiper de la façon la plus pragmatique possible, sur la base des conclusions rendues par le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC).

La première d’entre elles est celle de définir un budget carbone qui serait alloué à l’ensemble du secteur de l’aviation. Derrière ce concept, il y a l’idée de définir un niveau maximal d’émissions de gaz à effet de serre en dessous duquel les compagnies aériennes devraient absolument se tenir, toujours dans la perspective de 2050. Il y a urgence à ce que cette mesure de bon sens soit mise en place : on l’oublie souvent mais avant que la pandémie ne rebatte les cartes de nos vies, l’Association du Transport Aérien International (IATA) avait tranquillement annoncé prévoir une multiplication par deux du nombre de passagers d’ici à 2037, chiffrant son total à 8,2 milliards. Rien que ça. Sans l’établissement d’un budget carbone supervisé par une autorité indépendante, c’est donc la porte ouverte à une alourdissement des conséquences pour notre planète et plus encore, pour nous, ses habitants.

Cela va sans dire, cette mesure ne sera pas facile à faire accepter aux compagnies aériennes et leur activisme à grand renfort de lobbying s’échinera à en limiter l’impact, si ce n’est à l’empêcher. Le rapport envisage toutefois une autre piste, complémentaire : celle misant sur l’espérance de progrès technologiques salvateurs. Autrement dit, charge à l'ingénierie d’inventer des avions polluant moins, notamment dans la perspective de respecter cet hypothétique budget carbone.

Dans leur rapport, les équipes s’appuient notamment sur la promesse de l’entrée en service des premiers avions à hydrogène pour les vols court et moyen-courriers, comme de l’utilisation de biocarburants pour les long-courriers, à compter de 2035. C’est sans doute là que le bât blesse. La motorisation à hydrogène a tout des lendemains qui chantent mais la symphonie de son impact pourrait bien ne se faire vraiment entendre qu’à partir de 2050, tant elle relève encore de la gageure pour le secteur aérien.

En ce qui concerne les biocarburants, toute la question est de penser l’impact de la fourche au néo-kérosène. Ces combustibles plus propres supposeront l’exploitation intensive de terres dont la production ne nous nourrira aucunement, quand l’année passée encore le Jour du Dépassement mondial - ce jour à compter duquel nous vivons donc au-delà des capacités de la planète - a été atteint le 21 juillet. En somme, une humanité vivant déjà à crédit alimentaire sur cinq mois de l'année, peut-elle envisager un prêt supplémentaire qui a tout de la chimère ?

Parce que les progrès technologiques ne suffiraient pas eux-mêmes à respecter les engagements des accords climatiques internationaux, ce rapport continue en s’attelant à une question moins confortable pour l’aviation : et s’il ne fallait pas tout bonnement poser des bornes au trafic aérien ? C’est ce que les ONG climatiques appellent de leurs voeux, depuis des années et les équipes en charge de la recherche imaginent donc plusieurs options pour y concourir : embarquer davantage de voyageurs en limitant la voilure accordée aux classes affaires, remettre en cause le système pernicieux de miles incitant à toujours plus prendre l’avion, interdire partout les vols quand le train vous permet de faire le même trajet en 4h30 ou mettre en place une taxe individuelle qui serait de plus en plus élevée en fonction des km parcourus par chacun en avion.

2050, l’odyssée de l’avion ? En réalité, cette date-cap a tout d’un horizon futuriste en décalage avec la réalité de l’impact du changement climatique. D’ici à 2030, des nations seront déjà sous les eaux si la tendance ne s’inverse pas : c’est le cas des Îles Marshall, dans l’océan Pacifique, dont il faudra bien alors accueillir les habitants, quelque part. Parce que nous sommes convaincus que le recours au train, notamment de nuit, peut rendre moins insolvable l’équation climatique, chacun peut dès à présent mesurer l’impact de ses déplacements en fonction des moyens de transport envisagés, grâce à ce comparateur idéalement détaillé et pédagogique, mis en place par l’Ademe.


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