Romain Payet — La première contrainte à laquelle nous faisons face est celle de la gestion d’une offre de restauration de qualité avec les spécificités d’une cuisine de train. Bien que notre voiture-restaurant contienne presque tout ce que contient une cuisine de restaurant, il y a quelques erreurs à éviter. La friture, par exemple. Cela n’a rien d’impossible mais, puisque le train bouge, les projections d’huile brûlante sont dangereuses et donc à proscrire. Autre particularité : l’espace de stockage est bien plus limité que dans une cuisine terrestre. Il nous faut donc réfléchir à la façon de réduire nos quantités de vaisselle au minimum tout en insérant cette notion dans l’ambiance générale de notre restaurant. Spoiler alerte, il n’y aura donc ni churros ni dîner à cinq couverts et trois verres à bord de Midnight Trains.
Mais dans le fond, nous ne voulions ni vendre de la street food ultra grasse ni faire des dîners guindés. Ces contraintes n’en sont donc pas vraiment puisque nos nouveaux partenaires et nous les utilisons comme des ressources, des éléments de notre narratif, pour créer cette voiture-restaurant qui nous est si chère. Il faut dire que le duo qui a rejoint l’aventure s’y connaît en contraintes. Pour un de leurs restaurants, ils ont commencé par choisir un lieu pour son emplacement. Puis, ils se sont adaptés. Ils ont créé une ambiance, une atmosphère, une carte et une décoration en adéquation avec les particularités de ce lieu. C’est une recette difficile mais nous travaillons dur pour la transposer à bord de nos trains. D’ailleurs, elle est encore en train de mijoter.
Adrien Aumont — Notre seconde grande contrainte tient au fait que nous représentons une taille de marché qui n’existe pas. En tout cas, pas dans un premier temps. Je m’explique. Lorsque nous aurons lancé de nombreuses lignes de nuit à travers toute l’Europe, nous serons quantitativement sur le marché de la restauration collective. Mais dans les premiers temps, avec une ligne, puis deux, puis trois, nous allons devoir nourrir entre plusieurs centaines et plusieurs milliers de voyageurs. Ce qui est bien trop peu pour travailler avec les immenses entreprises de restauration collective et bien trop grand pour bosser avec les petits fournisseurs qui travaillent avec les restaurants que nous aimons.
Malgré ce constat, nous avons pris contact avec le monde de la restauration collective. Pour en comprendre les process, les méthodes de travail, le niveau de qualité qui peut en sortir et, éventuellement, trouver une façon de bosser ensemble sur nos quantités si particulières. Nous avions dans l’idée que si nous leur fournissions des produits sourcés par nous et un cahier des charges assez précis et exigeant, ce serait peut-être possible. Malheureusement, ou heureusement, nous ne sommes jamais arrivés à cette dernière étape, pour deux raisons. La première, c'est qu'aucun d'entre eux n'a accepté de travailler avec des fournisseurs imposés. La seconde, plus personnelle, c'est que j'ai eu des hauts-le-cœur en visitant leurs laboratoires. Ça me faisait la même chose quand j’étais enfant et que j'allais à la cantine ! Bref, impossible de proposer à nos clients quelque chose qui me dégoute personnellement…
Nous avons également étudié la possibilité de travailler avec un autre type de prestataires. Des « dark kitchens », donc des cuisines sans établissement, qui fournissent plusieurs petits restaurants parisiens dignes de ce nom. En général, elles ne sont pas derrière toute la carte de ces lieux mais seulement d’une partie, de quelques préparations qu’il ne reste plus qu’à réchauffer. Des fonds de tarte, des sauces ou des pâtes à pain. Cette fois, la qualité de la nourriture rendait l’option envisageable. Sauf que ce genre de lieu fournit en général trois ou quatre restaurants d’une trentaine de places. Alors que nous aurons plusieurs centaines de couverts quotidiens dès notre premier train. Bref, bien trop pour eux.
Romain Payet — Comme je l’ai dit plus haut, à l’heure où sont écrites ces lignes, nous n’avons pas encore complètement arrêté cette partie de notre offre. Mais ce que nous pouvons d’ores et déjà vous dire, c’est que nous avons choisi le meilleur des deux mondes. Que nous sommes en train de trouver un chemin qui nous permette de fournir de la nourriture et des repas de qualité avec un modèle économiquement et logistiquement tenable. Nous n’avons pas pris le risque de servir de la mauvaise nourriture en nous sécurisant au plan financier. Nous n’avons pas non plus pris la décision de ne servir que de l’artisanal pur, au risque de se retrouver avec des problèmes de volume et de logistique. Nous avons décidé de créer une voie dans laquelle la qualité de l’artisanal devient partiellement industrialisable. Grâce à un modèle pertinent et créatif, grâce à nos réflexions avec nos partenaires et grâce à l’envie de créer du beau et du bon. Notre beau et notre bon.