Qu’est-ce qui explique qu’un vêtement ou un accessoire détesté de tous devienne le paroxysme de la mode ? Parfois, c’est tout simplement inexplicable. Comme lorsque des stars comme Rihanna ou Zendaya ont commencé à habiller leurs pieds de claquettes-chaussettes malgré des années de moqueries internationales sur les touristes ainsi chaussés. À l’inverse, certaines inversions de tendance s'expliquent par la praticité de l’objet concerné. Exemple : la doudounette sans manche. C’est laid, ça ne va avec rien, mais qu’est-ce que c’est pratique de la glisser sous un blazer ou une veste en denim lorsque le froid pointe le bout de son nez. Pour rappel, le froid est cette sensation désagréable et soporifique que l’on ressent lorsque les températures sont basses. Il fut un temps où les Européens en faisaient l’expérience plusieurs mois par an.
Nous l’avons vu la semaine dernière, comme la doudounette sans manche, la voiture électrique a connu une ascension longue et pénible. Malgré d’évidentes qualités techniques et écologiques, elle a été boudée, négligée et laissée pour compte, avant de connaître son heure de gloire. Mais, de la même manière qu’il n’est pas certain que le doudounette efface le pull-over de la surface de la Terre, la voiture électrique ne remplacera peut-être pas la voiture thermique.
Tout d’abord, les voitures électriques peuvent-elles s’adapter à tous les usages assurés par leurs homologues à moteurs thermiques ? Peuvent-elles, malgré leur autonomie réduite et le nombre limité de points de chargement, assurer les mêmes missions ? Sur ce point, Bernard Jullien, maître de conférences en économie à l’Université de Bordeaux et spécialiste de l’automobile, est très clair : “Jusqu’à maintenant, les fournisseurs d’énergie, les électro-chimistes et les fabricants de batteries n’imaginaient pas nécessairement que l’automobile ferait partie de leur clientèle essentielle. Maintenant que c’est admis, ils vont augmenter leurs investissements, les apprentissages vont évoluer et les performances vont s’améliorer rapidement.” Des progrès sont donc à attendre du côté de la qualité des batteries mais aussi de la façon de les utiliser. “À n’en pas douter, il y aura aussi des progrès sur le BMS, le battery management system, grâce auquel les voitures auront plus d’autonomie et d’efficacité à puissance égale. Si on fait la somme de toutes ces améliorations, on multipliera certainement les capacités des batteries par 25 ou par 30”, ajoute l’expert.
Quant aux points de recharges, ils sont loin d’être aussi rares qu’on veut bien le dire. “Quoi qu’en disent les constructeurs et les adversaires de l’électrique, nous avons plus de points de recharge qu’il n’en faut par rapport au parc automobile électrique actuellement en place. C’est d’ailleurs une bonne chose que nous soyons en avance de phase sur cela. En revanche, certains points de recharge ne sont utilisés en moyenne qu’une fois par jour. Il reste donc à résoudre une question de calibrage de notre réseau de bornes, mais ceci va s’ajuster”, poursuit Bernard Jullien. La question n’est donc pas tant d’avoir un grand réseau que d’avoir un réseau pertinent, capable de répondre aux usages. Des usages dont les études révèlent d’ailleurs progressivement, et un peu paradoxalement, que les besoins en autonomie de monsieur-et-madame-tout-le-monde sont bien plus faibles qu’on ne le pensait initialement. Quant à ceux qui auraient vraiment besoin de rouler longtemps, sans s’arrêter et sans temps de recharge, il restera toujours d’autres pistes technologiques complémentaires.
Enfin, pour que les voitures électriques puissent devenir la norme, il faut deux choses : avoir plus de voitures électriques que de thermiques et avoir assez d’électricité décarbonée. Pour la première, il existe un calcul assez simple à faire. “Si on prend l’exemple de la France, on renouvelle entre 3 et 3,5% du parc chaque année. Donc, si on fait une règle de 3 un peu bête, le renouvellement total du parc, soit l'éradication du thermique, aura lieu dans trente ans, pas dans quinze ans comme on l’a beaucoup dit. Il y a donc une nécessaire patience, même si c’est une hypothèse un peu basse, qui pourrait être accélérée par la baisse des prix de l’électrique ou autre”, calcule Bernard Jullien avant de poursuivre. “Mais attention, il ne faut pas aller trop vite non plus. Si on se met à produire 20 millions de véhicules électriques par an en Europe, on va construire des capacités de production énormes qui ne serviront plus à rien dans dix ans.” Enfin, sur la question de la fourniture d’électricité, le maître de conférence de l’Université de Bordeaux estime que la France, avec une planification bien pensée, sera capable de produire l’énergie “relativement décarbonée” pour son futur parc automobile. Toutefois, il doute en ce qui concerne d’autres pays comme l’Allemagne ou la Chine. Et quid des pays moins développés économiquement ? Car s’il semble relativement simple de troquer notre parc, il ne faut pas que ce soit pour le faire rouler chez les autres. Pour être efficace, la transition écologique doit s’appliquer partout.