L’Underground RailRoad, le chemin secret des esclaves

Un train qui n’en est pas un

Une fois n’est pas coutume, nous allons vous raconter l’histoire d’un train mythique qui, contrairement à l’Orient-Express, le Shinkansen ou le Transsibérien, n’en est pas vraiment un : l’Underground RailRoad, aussi appelé le Chemin de fer clandestin. Méconnu en Europe, celui-ci était en fait un réseau secret d’itinéraires, de maisons, de cachettes et de moyens de transport permettant aux esclaves américains de fuir les États du Sud. Ils rejoignaient ainsi ceux du Nord où ils pouvaient vivre libres, voire le Canada où l’esclavage avait été aboli par le vote du Slavery Abolition Act par le Parlement britannique en 1833. Aucune voie ferrée là-dedans donc mais une terminologie entièrement liée au ferroviaire qui méritait que l’on s’arrête dessus.

Nous sommes au début du XIXe siècle et, à l’époque, la grosse quinzaine d’Etats qui forme la jeune Nation américaine est divisée par un débat profond sur l’esclavage. Dans le Sud, qui vit en grande partie des plantations, la grande majorité des Blancs est fermement décidée à maintenir cette pratique inhumaine qu’ils jugent comme étant dans l’ordre des choses et bonne pour leur business. Dans le Nord, où l’économie est plus urbaine et la mentalité plus progressiste, les choses sont un peu différentes. Les idées abolitionnistes circulent dans les cercles intellectuels et, même si la population reste globalement hostile aux Noirs, elle n’est que peu favorable à l’esclavage. Les hommes et les femmes noirs peuvent donc espérer y vivre librement, trouver un travail et se fondre dans l’anonymat des grandes villes.

Les esclaves des plantations n’ont donc pas le choix. S’ils veulent connaître la liberté, ils doivent s’enfuir en direction du Nord. Les premiers à tenter cette aventure le font seuls, sans moyen, n’ayant que l’étoile Polaire pour leur indiquer la bonne direction. Au point qu’une phrase, issue d’une chanson, circulant parmi les esclaves de l’époque disait “Suivez la gourde”, en référence à la grande Ourse, parfois appelée ainsi aux Etats-Unis. Mais peu à peu, face à la difficulté qu'ont les esclaves à s’enfuir, un réseau se met en place : l’Underground RailRoad.

Si l’origine exacte de son nom est sujette à débat, ses références au ferroviaire sont légion. Il s’agit d’un réseau fluide et mouvant, organisé par d’anciens esclaves, des Noirs nés libres et des Blancs abolitionnistes, dont de nombreux Quakers, pour aider les fuyards à rejoindre les Etats du Nord. Ainsi, les maisons habitées par des membres du réseau sont appelées des “gares” et leurs responsables se voient affublés du nom de “chefs de gare”. Les granges ou les cachettes dans lesquelles sont cachés les Noirs sont désignées comme des “stations” ou des “dépôts”. Enfin, les femmes, les hommes et les enfants qui fuient les plantations sont considérés comme des “passagers” ou, dans quelques cas, des “cargaisons”. Moins présent, le champ lexical du christianisme renforce parfois celui du rail en mentionnant les “chefs de gare” sous le titre de “pasteurs” et le Canada comme “La Terre Promise”.

Ces noms de code permettent aux membres du réseaux et à leurs protégés de perdre leurs poursuivants, les “propriétaires” des esclaves ainsi que les chasseurs de primes accompagnés de chiens qui les poursuivent jusque dans le Nord. Une loi, le Fugitive Slave Act de 1793, permet en effet à ces derniers de chasser leurs “biens” sur l’ensemble du territoire américain. C’est pourquoi l’Underground RailRoad est majoritairement présent dans la partie septentrionale du pays, bien plus que dans la partie méridionale. Au total, on estime qu’entre 1830 et 1860 de 30 000 à 100 000 personnes ont été sauvées grâce à ces rails métaphoriques et aux justes qui les ont bâtis. Un chiffre impressionnant mais qui reste faible quand on sait que le nombre d’esclaves aux Etats-Unis est passé de 800 000 à 4 millions entre 1800 et 1860.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser instinctivement, le chemin de fer n’est toutefois pas une organisation stricte et hiérarchisée. Il n’a ni chef ni leader. Il s’agit plutôt de micro cellules jointes les unes aux autres par la volonté de lutter contre l’esclavage. D’ailleurs, afin de protéger l’entièreté du réseau, les “chefs de gare” ne connaissent qu’un ou deux de leurs homologues au Sud et un ou deux au Nord. Ainsi, si l’un d’eux vient à être repéré et/ou interrogé, il ne peut pas compromettre l’ensemble du RailRoad, tout juste un petit tronçon.

Toujours dans un souci de sécurité, les membres du réseau indiquaient leurs “gares” par des signes impossibles à discerner pour les non-initiés. Dans certains coins, il s’agissait de briques peintes en blanc sur la cheminée de la maison, dans d’autres par une lanterne allumée à certaines heures de la nuit. On raconte même qu’il y aurait eu un système de code reposant sur la disposition de couvertures colorées devant les habitations mais il fait débat parmi les historiens. Une créativité qui se retrouve aussi dans les cachettes puisque des diligences à double fond, des murs tournants, des armoires coulissantes et des trappes secrètes ont été retrouvés dans certaines maisons ayant fait partie du Chemin de fer clandestin.

Les activités du réseau se durcissent encore lorsque les Etats du Sud parviennent à faire voter une nouvelle loi, aussi appelée Fugitive Slave Act, par le Congrès américain en 1850. Ce texte, qui impose aux autorités de tout le pays, y compris du Nord, d’aider les maîtres à capturer leurs esclaves en fuite, provoque un véritable tollé dans les cercles abolitionnistes et progressistes. Il constitue d’ailleurs l’un des facteurs ayant conduit à l’élection d’Abraham Lincoln à la tête du pays et au déclenchement de la guerre de Sécession. C’est paradoxalement le nouveau président des Etats-Unis qui met fin à l’existence d’une partie du Chemin de fer clandestin en faisant voter l’interdiction de l’esclavage en 1865. Puisque les Noirs ne peuvent plus être poursuivis dans les territoires du Nord, le RailRoad n’a plus vraiment de raison d’y exister. Il disparaît donc silencieusement avant que les noms de quelques-uns de ses héros, comme Harriet Tubman, William Still ou Levi Coffin, ne refassent surface grâce au travail des historiens et des militants. Tout comme celui de l’Underground RailRoad, l’un des chemins de fer les plus importants du monde, bien qu’aucun train ne soit jamais passé dessus.

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